WE NEED TO TALK ABOUT JAMIE
Deux policiers patientent dans leur bagnole. Soudain, le duo et un régiment d’hommes armés se rendent dans une petite maison d’une banlieue pavillonnaire. La porte est défoncée, la police crie aux occupants de se coucher à terre, fouille les pièces une à une… jusqu’à entrer dans la chambre de Jamie, 13 ans, arme de guerre à la main pointée sur lui pour l’appréhender. L’adolescent est soupçonné de meurtres.
La panique s’installe, la confusion règne et Jamie est embarqué, devant les yeux de ses parents et sa sœur ébahis. La caméra s’attarde rapidement sur l’échange entre le père et le policier en charge de l’arrestation, avant de revenir sur Jamie, placé dans une camionnette et finalement conduit au commissariat le plus proche pour interrogation. En seulement une petite dizaine de minutes, Adolescence prend aux tripes, mais pourrait ressembler à n’importe quel autre drame judiciaire. Sauf que tout se déroule dans un plan-séquence impressionnant.

C’est la force de la mini-série Netflix : chacun de ses épisodes est un plan-séquence, et se déroule donc en temps réel, pour mieux nous plonger dans un enfer inattendu. Un pur exploit visuel (chaque épisode dure environ 1h) d’autant qu’Adolescence cherche toujours à innover, changeant de point de vue et d’échelle. Le premier épisode est un véritable uppercut haletant, où l’on suit Jamie et sa famille, abasourdie par les événements devant les tenants et aboutissants de l’affaire révélés au grand jour, dans une sorte de course contre la montre cauchemardesque.
Le deuxième, au contraire, est plus apaisé, dans les couloirs d’une école aux côtés des policiers chargés de l’enquête, jusqu’à un mouvement aérien époustouflant en fin d’épisode, quand le troisième est un quasi-huis clos étouffant dans une salle d’interrogatoire avec deux personnages (ou presque). Enfin, le quatrième retrouve une forme plus ample, jonglant avec la famille de l’adolescent, de leur maison à un magasin de bricolage en ant par un long périple en voiture. Adolescence épate donc formellement et parvient à en faire plus qu’un simple gadget.

dazed and confused
Si les quatre plans-séquences sont aussi formidablement captivants et pertinents, c’est parce qu’ils ne sont jamais ostentatoires. Le procédé est légèrement devenu galvaudé ces dernières années (notamment depuis les prouesses de Gravity ou Birdman) et a parfois été utilisé à tort et à travers simplement pour montrer les muscles. Bien sûr, la mise en scène pourra peut-être en ennuyer certains ici, mais elle vient avant tout appuyer les réflexions de la série, coécrite par Stephen Graham lui-même et Jack Thorne (His Dark Materials, The Aeronauts).
Avec ce dispositif, comme les personnages, les spectateurs ne peuvent finalement pas échapper à toutes les perturbations causées par cette arrestation soudaine et vont devoir se confronter à toutes les conséquences psychologiques (et plus encore) qu’elle va engendrer. Ainsi, Adolescence se sert de son postulat, un adolescent soupçonné du meurtre d’une de ses camarades, pour sonder une famille, un quartier, un village, mais inexorablement un pays et une époque.

La série ne cherche en effet jamais à jouer sur une forme de suspense (hormis peut-être dans son premier épisode) sur la culpabilité réelle ou non de Jamie. La réponse est donnée rapidement, sans équivoque, permettant au récit d’ouvrir des portes bien plus profondes. Adolescence s’interroge alors sur les gouffres numériques entre parents et enfants, l’impact des réseaux sociaux sur les adolescents, les différents codes générationnels, mais aussi les violences psychologiques, le harcèlement scolaire, la culture incel, la toxicité masculine…
La série prend le temps d’explorer les écarts de compréhension entre deux générations (parents/enfants) et se pose des questions existentielles ionnantes : d’où naît la violence ? Celle des enfants est-elle le reflet de celle de leurs parents ? Sinon, comment savoir où les parents ont échoué et s’ils sont responsables ? Comment y remédier malgré une éducation aimante et attentive ? Toujours nuancée et moralement brillante, la série ne prétend pas connaître les réponses, mais bouleverse par la puissance de ses silences.

Mieux encore, elle ne se contente jamais d’une résolution facile qui pourrait tout expliquer (aux oubliettes, le terrible secret de famille habituel, le tonton cruel ou les parents alcooliques). Avec intelligence, Stephen Graham et Jack Thorne s’appliquent à cre des pistes courageuses et sincères, suffisamment ambivalentes pour torturer nos esprits sur notre système éducatif, la parentalité, la masculinité… mais jamais ambiguës, pour marquer une différence nette (et indispensable) entre victimes et coupables, agressés et agresseurs.
Adolescence est disponible en intégralité sur Netflix depuis le 13 mars 2025

Bonne série. Avec 1 waceswap dans l’autre sens pour 1 fois. C’est étonnant. Les quotas sont là, ouf.
J’ai vu les 2 premiers. Je suis sur le 3ème. Excellent sur la forme comme sur le fond. Stephen Graham fait partie de ces acteurs sous-estimés. Je l’avais découvert dans Public Enemies. L’acteur qui joue le jeune garçon est excellent aussi
Très bon article, excellent point de vue, oui tout à fait, une claque, la prestation des acteurs est époustouflante, le scénario nous prend bien aux tripes. Jusqu’à me demander le vécu intérieur que je n’aurai pas su voir de ses dernières années à mon fils. Une belle découverte ce week-end.
Ta critique m’a donné envie de regarder, malgré mes réserves habituelles sur le sur-employé Jack Thorne, et je ne regrette pas un instant c’est vraiment excellent !
Vu le trailer hier au ciné. J’ai failli décrocher en voyant la mention Netflix, puis j’ai vu Stephen Graham.
Ce mec est l’un des meilleurs acteurs de sa génération, donc rien que pour lui, je voulais y jeter un œil.
Maintenant que je sais que c’est réalisé en plan-séquence, ça m’intrigue encore plus.
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Puis bon, 4 episodes, ca sera facile à regarder.
Hm. Bon, j’y jetterai un oeil par curiosité. Parce que pour le coup, le trailer posait très clairement ses thématiques mais alors la subtilité et l’élégance avait clairement été rangées au placard. Dans le genre gros sabots ça se posait là.