Le nouveau schéma
Entre le découpage en rubriques du récit de The French Dispatch pastichant la sensation de feuilleter un journal et la construction meta entre réalité et fiction en chapitres d’Asteroid City, Wes Anderson avait é un cap dans la mauvaise direction (en tout cas, pour l’auteur de ces lignes). Ces deux films étaient écrasés par le poids de leur structure narrative contraignante, pas aidés par des artifices esthétiques (cette alternance entre couleur et noir et blanc) et des histoires alambiquées, trop denses pour leur propre bien.
Les personnages (bien trop nombreux) pâtissaient de cette richesse, gangrénée par le besoin tragique du cinéaste de toujours combler chaque moment, par sa peur évidente du vide. De quoi tristement gâcher la mélancolie de certains destins de personnages et d’abîmer la beauté de ses dernières œuvres. On pouvait donc légitimement craindre que l’Américain conserve cette ligne avec The Phoenician Scheme, notamment lors de son introduction.

Le film raconte en effet l’histoire de Zsa-Zsa Korda, l’un des hommes les plus riches du monde et négociateurs les plus recherchés sur tous les continents. « Un capitaliste impitoyable, un industriel et un diplomate, un itinérant aux multiples eports, mais sans adresse fixe, limité par peu de frontières et peu de règles », comme le décrit le dossier de presse et une des phrases mémorables du personnage : « Je me e de mes droits de l’homme ».
Bref, il est sans pitié et au début du film, en couleur, il survit à la sixième tentative d’assassinat dont il est la cible après avoir vécu une énième EMI (Expérience de Mort Imminente), scène surréaliste filmée en noir et blanc, avant que le film bifurque (à nouveau en couleur) sur une réunion gouvernementale secrète dont les sujets complotent contre Zsa-Zsa Korda. Une nouvelle expérimentation stylistique qui semblait annoncer le pire des travers du réalisateur, sauf que miracle, ce n’est pas du tout le cas.

Keep faith in Anderson
Bien au contraire, Wes Anderson répare ses erreurs ées dans The Phoenician Scheme. Si le film va mener son anti-héros au cœur d’une longue tractation en Phénicie (d’où le titre), prêt à tout pour concrétiser le projet d’une vie, le film bifurque au fur et à mesure. Loin de conter uniquement l’histoire d’un anti-héros solitaire souhaitant sauvegarder sa mainmise, Wes Anderson va progressivement explorer son évolution intime et ses convictions grâce à sa relation renouée avec sa fille Liesl, une âme pure, attachante et déterminée.
Le voyage individuel se mue en retrouvailles personnelles, où père et fille, aux chemins distincts (voire opposées), vont voir leur destin s’entrelacer pour ne former plus qu’un. Dans un premier temps, c’est évidemment une opportunité supplémentaire pour arriver à ses fins pour l’affreux Zsa-Zsa Korda. Du moins, avant qu’il ne voie ses plans péricliter, subisse de nombreuses EMI et opère un virage à 180 degrés, à travers une rédemption progressive émouvante.

Ainsi, Wes Anderson mène de belles réflexions éthiques sur le pouvoir, la croyance et la famille qui vont changer le cours des choses. D’où un périple merveilleux à suivre, mélangeant film d’espionnage palpitant, grand film d’aventure à l’ancienne (oui il y a un côté Indiana Jones à plusieurs moments), comédie familiale et drame existentiel. Bien sûr, c’est toujours d’une grande densité (beaucoup de dialogues, un rythme imposant…) et il y a énormément d’éléments à ruminer.
Cependant, The Phoenician Scheme n’est jamais indigeste grâce à la narration plus fluide choisie par Wes Anderson. En se reposant sur une intrigue très linéaire et plus simple, Wes Anderson dompte aisément les quelques soubresauts de son récit. Il en résulte une œuvre beaucoup plus charmante à regarder, mais aussi beaucoup plus drôle et épique.

Un vrai retour à un cinéma plus accessible (et moins prétentieux pourrait-on presque dire) qui peut en plus compter, comme toujours chez le cinéaste, sur deux atouts de poids. D’abord, une direction artistique somptueuse, nous plongeant avec joie dans les différents paysages de la Phénicie dans un savoureux mélange d’effets pratiques et spéciaux, notamment lors d’un age dans la jungle incroyable (entre crash d’avion, sables mouvants et membre de guérillas).
Puis, tout aussi réjouissant, The Phoenician Scheme jouit d’une super bande-originale d’Alexandre Desplat. Beaucoup plus sombre sans doute une de ses meilleurs depuis longtemps. Avec en plus un défilé de stars moins caméoesque que ses précédents métrages et un Benicio Del Toro absolument merveilleux dans la peau de ce capitaliste véreux, Wes Anderson revient en forme. Sans doute apaisé avec ses névroses, il fait finalement ce qu’il sait faire de mieux : raconter des histoires avec un peu d’humour, d’émotions et un style unique en son genre. Un bon cru.

Du cinéma chiant !
enfin ! il revient à du vrai cinéma