Bébé à bord
Depuis le coup d’éclat de Deux jours, une nuit en 2014 – qui devait beaucoup au compte à rebours pulsant sa narration –, les frères Dardenne ont peiné à redonner de l’énergie à leur naturalisme politique. Le Jeune Ahmed et Tori et Lokita semblaient tourner en rond, transformant le point de vue marqué de leur caméra épaule en œilleton stérile et limité de leur sujet.
Ce surplace et cette sensation de vieillissement de leurs dispositifs méritaient d’être interrogés, d’autant que la présence récurrente des cinéastes au Festival les met en directe compétition avec d’autres films, y compris ceux qui se veulent les héritiers du duo belge (rien que cette année, il y avait L’Intérêt d’Adam de Laura Wandel).

Si Jeunes mères redonne espoir, et se présente comme un pas dans la bonne direction, c’est sans doute parce que les deux réalisateurs assument un programme clair de fiction au sein de leur approche faussement documentaire. Jessica, Perla, Julie et Ariane (il y a aussi Naïma, bien qu’elle reste très secondaire au récit) ont deux points communs : elles sont de jeunes mamans, et elles sont hébergées dans une maison maternelle pour apprendre à s’occuper de leur enfant. Leurs histoires diffèrent, mais dans tous les cas, il y a la crainte d’un schéma familial répété.
Jessica, abandonnée à la naissance, veut retrouver sa mère biologique parce qu’à son tour, elle ne ressent rien pour son bébé. Julie a réussi à sortir de la rue et de la drogue, mais la rechute est au tournant. Perla veut s’installer avec le père de sa progéniture, qui n’en a aucune envie, après avoir été délaissée par le reste de sa famille nombreuse. Et enfin, Ariane (le plus bel arc) hésite à faire adopter son enfant pour lui éviter une vie similaire à la sienne, régie par une mère violente et alcoolique.

Allô maman bobo
Chassez le déterminisme social, il revient au galop. L’assertion pourrait sembler réductrice (d’autant que le film charge pas mal la mule niveau misère sociale), mais cette alternance des points de vue permet aux Dardenne d’apporter les nuances requises par une telle histoire. Les hauts et les bas, les espoirs et les désillusions s’enchaînent et se répondent à des rythmes différents.
Derrière la métronomie avec laquelle ils déploient ces quatre portraits, il y a toujours la recherche du contretemps ou du tempo propre. A ce titre, les plans-séquences réguliers du film parviennent à créer leur petit monde, à plonger dans les inquiétudes, les biais et les tourments de chaque protagoniste.

Dans ce cocon qui essaie de préparer les héroïnes aux horreurs du monde, il y a quelque chose de l’ordre du château fort de conte, celui qui protège des loups et des dragons. Il serait exagéré de voir dans le style brut des Dardenne une dimension fantastique, mais Jeunes mères est toutefois hanté par une malédiction, une carence empathique des parents et de la société qui se transmet et se répète de génération en génération. C’est quand il montre les personnages lutter contre leur condition et cette prédestination sociale que le film bouleverse le plus.
On pourrait d’ailleurs reprocher aux réalisateurs de se complaire un peu trop dans cette logique de segmentation des arcs narratifs. Certes, la solitude des personnages est au centre de leur propos, mais ils en oublient les moments où cette maison maternelle devient un lieu de sororité touchant. Cet aspect choral, finalement réduit à une poignée de scènes, aurait pu donner au film une force supplémentaire.
