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Test : Assassin’s Creed Shadows est ce qu’Ubisoft sait faire de mieux (et c’est presque dommage)

Par Jacques Laurent Techer
1 avril 2025
MAJ : 1 avril 2025

3 millions d’exemplaires vendus en une semaine, Assassin’s Creed Shadows se pose comme l’un des meilleurs démarrages de la firme. Ajoutons à ça l’annonce d’une collaboration renforcée avec Tencent… Shadows semble donc être le sauveur d’Ubisoft. Mais qu’en est-il de la saga Assassin’s Creed elle-même ? Est-ce que Shadows est l’épisode de l’épiphanie ou est-ce simplement un énième opus calibré pour le satisfaire le grand public ? Spoiler : c’est compliqué.

© Ubisoft

Kage Bunshin no Jutsu

L’infiltration, l’assassinat, le complot : tout dans Assassin’s Creed criait le besoin d’aller s’expatrier au Japon depuis ses débuts, afin de mieux embrasser le mythe du ninja (et du samouraï évidemment). Il était écrit que la licence finirait par y poser ses lames secrètes. Et effectivement, l’arrivée d’Ubisoft au pays du Soleil levant semble naturelle. Il aura fallu attendre 18 ans, le temps d’une majorité, pour qu’Ubisoft donne corps aux envies de sa fanbase.

Et les enjeux sont lourds pour Assassin’s Creed. Si lourds que l’avenir du jeu pourrait se résumer à l’une des premières phrases qu’Oda Nobunaga, daimyo de son état, prononce à propos de Yasuke, l’un des deux héros de cet opus : « Je le mettrai à l’épreuve. Il deviendra une légende. Ou il mourra. » Presque une prophétie autoréalisatrice déclamée à l’encontre de ce nouvel opus. Il doit réussir (ça semble bien parti) ou c’en est fini d’Ubisoft.

Assassin's creed shadows yasuke
Presque une prophétie pour Assassin’s Creed Shadows

Pour accomplir sa mission, Assassin’s Creed Shadows a décidé d’embrasser pleinement l’image d’Épinal que l’on peut avoir du Japon féodal. Le récit transpire la lettre d’amour aux chanbaras classiques d’Akira Kurosawa et Hiroshi Inagaki. Le titre conte le périple et la dualité entre Naoe, une jeune shinobi motivée par son désir de vengeance parce qu’une troupe de renégats masqués a buté son père et volé une boite MacGuffin qu’on era notre temps à traquer, et Yasuke, l’ancien esclave devenu samouraï grâce à la protection et l’enseignement d’Oda Nobunaga.

Classique dans le fond, l’histoire l’est aussi dans sa forme. Bien que servie par des doublages de qualité (mention spéciale au doublage français d’excellente facture, même si les esthètes joueront avec le doublage japonais), le récit souffre d’un découpage étrange et d’une mise en scène mollassonne. Toujours encombré des enjeux bidons de l’Animus, Assassin’s Creed Shadows a bien du mal à établir des enjeux solides.

C’était pas la peine

Assassin’s Creed of Tsushima

Muée uniquement par la vengeance, Naoe est un personnage très plat, presque monocorde. Yasuke s’avère être un héros plus complexe, mais tiraillé entre son besoin d’accomplir la volonté de son maitre, en bon samouraï, et l’envie de trouver une paix intérieure qui lui a toujours fait défaut.

Sur le papier, la cohabitation de ces deux forces vives fonctionne parfaitement. La décision de séparer concrètement les deux approches qui sont constitutives de la franchise Assassin’s Creed (en particulier depuis Origins) est maline et plutôt bienvenue. Naoe est l’incarnation de l’aspect infiltration/discrétion de la saga, alors que Yasuke donne vie aux envies de brutalité frontale des joueurs.

Là où le bât blesse, c’est que les enjeux et les motivations des personnages sont confus, et le rythme boiteux. Le potentiel narratif était pourtant immense. Le Japon féodal, avec ses tensions politiques et son code de l’honneur rigide, aurait pu être le théâtre d’un récit épique, mais l’écriture se contente du strict minimum. Les interactions entre les protagonistes manquent de profondeur et certaines quêtes principales sont du pur remplissage, mises à part quelques fulgurances de mises en scène (dans les mises à mort ou l’usage pertinent du noir et blanc dans certains flashbacks).

Avec Junjiro, PNJ professionnel au milieu

Pour donner un exemple concret d’erreur de mise en scène et de structure scénaristique, Yasuke ne débarque qu’au bout de 10 à 15 heures de narration (après un age remarqué dans le prologue), ce qui nuit clairement à son impact narratif. Et encore, il s’agit d’une fourchette basse, si jamais vous donnez libre cours à vos envies d’errance sur l’immense carte en papillonnant d’une mission annexe à une autre, il se pourrait bien que Yasuke ne se pointe qu’au bout de 25, voire 30 heures.

Une erreur de structure franchement étonnante de la part d’Ubisoft, qui maîtrise pourtant les codes du blockbuster et d’une narration serrée, malgré les tentations permanentes d’un monde ouvert. Mais dans le cas d’Assassin’s Creed Shadows, peut-être plus que dans Odyssey et Valhalla, le rythme de la trame principale pâtit de cette structure ouverte. Le scénario convoque en permanence un sentiment d’urgence, alors que le monde, lui, offre un terrain de jeu qui appelle à la contemplation et à aller trotter à dos de cheval dans les campagnes.

Voilà un énorme MacGuffin

Le sot de la foi

Tiraillé entre un monde ouvert foisonnant d’activités et sa trame narrative principale très dense, Assassin’s Creed Shadows l’est aussi dans son gameplay bicéphale, avec la brute Yasuke et l’ombre Naoe. Depuis Origins, Ubisoft tente de redonner du poids à l’infiltration, et Assassin’s Creed Shadows poursuit dans cette direction. Bonne nouvelle : dans la peau de la shinobi Naoe, la furtivité est plus efficace que jamais. Ubi montre ses 18 ans d’expérience dans le domaine, tant dans l’incarnation d’une tueuse silencieuse que dans un level-design permettant une belle variété d’approches.

Mauvaise nouvelle : ce savoir-faire de ninja 9ème dan en ninjutsu cohabite avec une IA aux fraises, qui rend certaines séquences risibles. Même en poussant les curseurs de difficulté au maximum (le titre propose de composer son expérience sur mesure, réactivité des adversaires, caractère létal ou non de la lame d’assassin, etc.), certains énergumènes des rangs ennemis semblent atteints de surdité et de myopie sévère, allant jusqu’à se promener devant des cadavres sans les remarquer.

Kage Bunshin dans vos tronches

Le système de combat, lui, est un patchwork efficace, surtout quand on incarne le solide Yasuke. Un peu de Ghost of Tsushima pour le timing, une pincée de Sekiro pour la punition, beaucoup des anciens Assassin’s Creed pour les mécaniques d’assassinat. La pluralité d’armes est au rendez-vous (Kusarigama, Tanto, Katana, Naginata et Kanabo – un énorme gourdin particulièrement jouissif –, fusil, arc), le résultat est nerveux, bien plus réactif et permissif que les épisodes précédents, sans être révolutionnaire.

La progression des personnages, en revanche, est une plaie. Les arbres de compétences sont sans inspiration, et rendent l’évolution plus fastidieuse qu’excitante. Pour faire évoluer vos compétences, réparties en familles, il faudra acquérir des points de maitrises, gagnés en progressant en niveaux, dans le même esprit light-RPG des épisodes post-Origins. Sauf que, pour accéder aux compétences les plus efficaces, il faudra faire grimper votre score de « Connaissance » que l’on augmente en accomplissant des quêtes annexes.

Six arbres de compétences pour devenir Hokage

Marre de grimper aux arbres

rDe ce fait, si vous voulez foncer sur la trame principale pour découvrir que « ce personnage qui était pourtant si sympa est en fait un horrible traitre », vous devrez vous contentez de personnages avec le minimum de compétences. Sachant que Yasuke et Naoe ont chacun six arbres de compétences, on se retrouve parfois découragé à l’idée de devoir farmer les points de Connaissances pour rendre ses avatars plus redoutables. On est loin du système pourtant très efficient d’Assassin’s Creed Valhalla. Et étant donné la nature même d’Assassin’s Creed, on regrette de ne pas avoir un système inspiré de Skyrim, où les compétences s’améliorent à mesure qu’on les utilise.

En termes de game design, ces paliers de points de connaissances ne semblent avoir été mis là que pour vous pousser à participer à toutes les activités annexes possibles, et ce ne n’est pas ce qui manque. Prier dans les temples, rechercher des parchemins perdus, apprendre de nouveaux katas, participer à des tournois, à des concours de tir à l’arc, pratiquer la médiation et la calligraphie… Ce à quoi s’ajoutent des contrats de mercenariat et des explorations de Kofun, des tombeaux souterrains (désormais classiques dans la série), et la grosse nouveauté : la refonte complète du système de gestion de repaire façon Animal Crossing, avec la construction, la répartition et l’amélioration de bâtiments.

Instant méditation

On ne s’ennuie jamais, le jeu propose toujours quelque chose à faire. La carte est, comme toujours, immense (à peu près de la taille de celle d’Origins) et foisonnante d’activités secondaires. Mais Ubisoft semble peiner à réinventer sa formule, et dans un monde post-the witcher 3 et Breath of the wild, la comparaison avec ces deux titres fait mal, d’un point de vue narratif pour le premier, et d’approche organique du monde ouvert pour le second.

De plus, on ne peut s’empêcher de ressentir une impression de déjà-vu/déjà joué, surtout si on a mis les mains sur Ghost of Tsushima. Le jeu de Sucker Punch avait été qualifié, à juste titre, d’Assassin’s Creed au Japon à sa sortie. La comparaison avec Assassin’s Creed Shadows est donc inévitable. Et le fait est qu’une sensation de redite est très présente. On se retrouve encore avec des camps à nettoyer, des trésors à collecter et des quêtes FedEx déguisées sous un vernis d’exotisme nippon. Il manque à Assassin’s Creed Shadows ce souffle d’innovation qui permettrait de rompre avec la lassitude inhérente aux mondes ouverts.

Petite trouvaille : c’est à nous de marquer nos objectifs de quête depuis les tours de synchronisation

La Méthode Ubisoft

Et pourtant, malgré ces défauts, on se surprend à parcourir le titre d’Ubisoft avec un réel plaisir. Si Assassin’s Creed Shadows fonctionne, c’est avant tout grâce à son monde. Ubisoft a peaufiné son Japon féodal avec un soin maniaque. Les villages et villes, quelle que soit leur taille, respirent l’authenticité, les châteaux et les temples imposent le respect, la nature regorge de vie.

Et puis il y a cet effet « waouh ». Le soleil qui se lève sur Kyoto, les forêts baignées de lumière, les ombres qui dansent sur les rizières… Ubisoft a fourni un travail artistique et technique impressionnant, avec une optimisation bien plus efficace que les fiascos és. Il y a encore quelques ratés sur PC, notamment sur les configurations moyennes, mais globalement, Ubisoft a appris de ses erreurs.

Quelques beaux effets bien gore pour les mises à mort

Les multiples reports qu’a subis le jeu ont porté leurs fruits : Ubisoft a livré avec Assassin’s Creed Shadows sa copie la plus propre pour un Assassin’s Creed. On constate peu de bugs de collision, les modèles 3D et assets graphiques sont très soignés. Même si les animations restent assez raides par rapport à la concurrence, et que, lors des scènes cinématiques, le frame rate tombe à 30 FPS sans crier gare, on ne peut que saluer le travail des développeurs. Shadows est le plus beau des Assassin’s Creed à ce jour.

Et c’est là la plus grande force du titre : ce monde est si beau et si vivant qu’il pousse à l’errance contemplative. Chaque village fourmille de vie, chaque sentier semble mener à une découverte. On s’arrête parfois au bord d’une falaise pour irer l’immensité des étendues vertes face à soi, et on se surprend même à jouer avec le cycle des saisons (semi nouveauté, puisqu’il y avait déjà un changement de saison dans Assassin’s Creed 3) pour voir comment le paysage évoluera, au son de la magnifique bande-originale composée par The Flight. C’est une invitation au voyage, et sur cet aspect, Ubisoft excelle.

L’invitation au voyage

« Nous agissons dans l’ombre pour servir la lumière »

Assassin’s Creed Shadows est l’aboutissement du virage RPG amorcé avec Origins. Mais en parcourant les territoires de ce Japon féodal si longtemps fantasmé, une question devient obsédante : et si ce n’était pas la bonne direction ? À plusieurs moments, plongé dans les missions principales du titre (en particulier les quêtes « La dame des Murmures », « Le Fou », « Les assassins » et surtout « Le é de Yasuke », brillamment écrit), on se demande si une autre voie ne serait pas mieux adaptée à Assassin’s Creed.

Imaginons Assassin’s Creed Shadows avec une autre structure : celle d’un jeu qui assumerait sa linéarité, à la The Last of Us. Une narration plus resserrée, un monde plus compact avec des zones semi-ouvertes pour ses phases d’infiltrations, des enjeux mieux ficelés. Ubisoft a très timidement exploré cette voie avec Mirage, mais refuse de s’y engager pleinement, probablement par peur de se mettre à dos une partie de sa fanbase qui hurlerait si on ôtait l’étiquette « open world » de la jaquette du dernier Assassin’s Creed.

Il a des raisons de ne pas être content

Et puis il y a cette frustration liée à la mythologie japonaise. Après un Odyssey qui assumait son délire grec et un Valhalla qui s’immergeait dans le folklore nordique, Assassin’s Creed Shadows se contente de quelques mentions de yôkai. Pourquoi ce frein ? Peut-être est-ce prévu dans un futur DLC ? Comment se fait-il qu’Assassin’s Creed ne soit plus une terre d’expérimentation, mais un tiers lieu au cadre si convenu ?

Ubisoft voulait contenter tout le monde : les investisseurs, le grand public, les fans de la première heure. Résultat, Assassin’s Creed Shadows est trop sage. Qu’on ne s’y trompe pas, malgré les critiques, Assassin’s Creed Shadows est un bon jeu mais il est sur des rails, trop téléphoné, et ne prend jamais de risque. C’est ce bon élève qui réussit tout ce qu’on lui demande, mais à qui il manque ce grain de folie pour devenir génial.

Face à un Ghost of Tsushima – toujours aussi percutant bien qu’il date de 2020 – et à son futur successeur, Ghost of Yotei, qui arrivera cette année sur PS5, Ubisoft risque de souffrir dans le duel des samouraïs. Et si vous n’avez jamais touché à Ghost of Tsushima, vous pouvez ajouter un demi-point supplémentaire à la note finale.

Assassin’s Creed Shadows est disponible depuis le 20 mars 2025 sur PC, Xbox Series X|S et PlayStation 5. Ce test a été effectué sur PS5.

Rédacteurs :
Résumé

Assassin’s Creed Shadows est une réussite technique et artistique indéniable, mais il lui manque ce grain de folie, cette audace qui le ferait er du bon au mémorable. En l’état, le dernier né d’Ubisoft est un excellent élève, appliqué et compétent, mais incapable de surprendre.

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loyskud
loyskud
il y a 2 mois

Je dis ça je dis rien mais c’est 3 millions de joueurs pas trois millions d’unités vendu. J’aime beaucoup cet opus mais faut pas dire n’importe quoi. 😉 Sinon j’en connais qui vont directement s’en servir pour crier à la diffamation. 😂

fab
fab
Abonné
il y a 2 mois

3 étoile sur 5 pour un « excellent élève, appliqué et compétent, mais incapable de surprendre » m’interroge. Sur une échelle de 20 points, 3 étoiles en représentent 12. Ca fait short pour une excellent élève, appliqué et compétent, même s’il est incapable de surprendre 😉

kelso
kelso
il y a 2 mois

La grosse nouveauté, la gestion d’un repaire ? Il y avait déjà ça dans AC Valhalla où on devait construire et améliorer les batiments de son village pour profiter d’améliorations.

cidjay
cidjay
il y a 2 mois

Pour être mémorable, il faudrait surtout qu’Ubi arrête de sortir des Assassin’s Creed tous les 1 ou 2 ans. (on en est déjà à 24 jeux pour la franchise en seulement 18 ans)
(Combien de Zelda, Skyrim ou de Witcher pour la même durée ?
Il faut savoir se faire attendre, c’est la seule façon de se rendre mémorable.
Assassins creed, c’est comme les vacances, si tu en as trop souvent, tu ne les savoures pas assez.