Ecran Large est de retour sur la Croisette pour le Festival de Cannes 2025. Et c’est l’heure de parler de Saeed Roustaee, réalisateur de La Loi de Téhéran et de Leila et ses frères.
Quelle est la responsabilité du critique de cinéma ? Si on évite de donner à la profession une trop grande importance malvenue (on n’est pas médecins), il y a une satisfaction évidente à dénicher les jeunes talents, ceux qui vont définir le cinéma de demain, surtout à l’heure où les canaux de diffusion et les productions audiovisuelles sont plus nombreux que jamais.
Ce n’est pas toujours simple de miser sur le bon cheval, mais depuis La Loi de Téhéran en 2021, le réalisateur Saeed Roustaee fait partie de nos chouchous pour la force de sa mise en scène, toujours axée vers de lentes descentes aux enfers au sein de la société iranienne. Leila et ses frères reste pour nous l’un des plus grands films de la décennie, et on attendait donc avec impatience Woman and Child, présenté en compétition.
Mon fils, ma bataille
De quoi ça parle ? Mahnaz, une infirmière de 45 ans, élève seule ses enfants. Alors qu’elle s’apprête à épo son petit ami Hamid, son fils Aliyar est renvoyé de l’école. Lorsqu’un accident tragique vient tout bouleverser, Mahnaz se lance dans une quête de justice pour obtenir réparation…
Et ça vaut quoi ? Il faut avouer que Woman and Child inquiétait à plus d’un titre. En mai, une tribune adressée au Festival de Cannes demandait le retrait du film de Saeed Roustaee, argumentant qu’il a été produit en accord avec les règles de censure et les institutions de l’état islamique d’Iran. Cela implique des concessions, à l’instar du port obligatoire du hijab pour les femmes présentes à l’écran.
On peut évidemment tiquer, mais ce serait oublier deux choses. D’une part, Saeed Roustaee a fait 6 mois de prison pour « propagande anti-régime » après Leila et ses frères, œuvre conçue dans la douleur, tout comme La Loi de Téhéran. D’autre part, nombreux sont les artistes iraniens qui acceptent de jouer le jeu afin d’assurer une production cinématographique locale, tout en y continuant d’y inf une critique sociétale plus larvée et subtile.

Forcément, le quatrième long-métrage de Saeed Roustaee n’est pas aussi puissant et rentre-dedans que ses précédents, et il serait facile de le dénigrer face à la vision courageuse (et un peu romantisée) des cinéastes qui tournent clandestinement en Iran – encore plus dans une sélection où Un simple accident de Jafar Panahi est un favori pour la Palme d’or.
Pour autant, Woman and Child s’inscrit dans une continuité logique, surtout avec Leila et ses frères, où l’observation à la loupe d’une famille dysfonctionnelle matérialise les manquements de l’Iran. La première partie se veut dense et hyperactive, tout comme Aliyar, gamin turbulent aux airs d’Antoine Doinel moderne, et huitième merveille du monde pour sa mère Mahnaz. Celle-ci l’élève seul, ainsi que sa sœur Neda, alors que son nouveau petit ami la presse à l’épo.
Entre l’école, son boulot d’infirmière et ses « devoirs » familiaux, Mahnaz porte un lourd poids quotidien sur ses épaules, dépendant de la place envahissante que les hommes prennent dans sa vie. Malgré la présence de sa mère et de sa sœur dans le foyer, et la volonté de faire d’Aliyar une « bonne personne », la misogynie ambiante et un patriarcat implacable s’immiscent comme un virus, jusqu’à une rupture qui bouleverse le récit à mi-parcours.
Sans en dévoiler la nature, cet « accident » (autre lien avec Jafar Panahi, où l’involontaire déclenche une réaction en chaîne), lance Mahnaz dans une quête de justice et de vengeance portée par la vivacité de la caméra de Roustaee. La colère qui embrase l’actrice Parinaz Izadyar (prétendante au prix d’interprétation féminine) s’abat sur des personnages masculins qui dévoilent petit à petit leur véritable nature, et symbolisent les symptômes d’une société iranienne malade.
En réalité, bien que Woman and Child soit moins explicitement politique et virtuose que Leila et ses frères, Saeed Roustaee se montre toujours aussi puissant dans son sens de la synecdoque, faisant de chaque figure de son récit familial chaotique une partie du problème. En résulte une question fascinante : comment trouver un coupable quand tout le système vous faillit ?
De ce point de vue, le cinéaste n’hésite pas à transformer tous ses protagonistes en monstre, à commencer par Mahnaz, dont la cruauté va plus d’une fois se retourner contre elle. La logique disparaît au profit de l’émotion brute, dans un univers visuel vertical où la caméra répond à un appel du vide vertigineux (ces plans à la symétrie incroyable sur l’immeuble habité par l’héroïne).
Plus qu’un portrait de mère courage, Woman and Child dépeint avec férocité la nécessité d’une modernité féminine en Iran. Par des jeux brillants de reflets et de renvois de regard (superbe idée que cette vitre sur laquelle sont écrits les devoirs des enfants), les oppositions mènent petit à petit à la recomposition de la structure familiale. Par ce recul, le film sort de l’intime pour étendre sa mise en scène. Saeed Roustaee sait filmer des mouvements de foule impressionnants et concrétiser des flux, comme cette masse d’élèves et de parents séparés par la grille d’une école. Comment redistribue-t-on le pouvoir ? En ne lâchant pas prise, et en parasitant subrepticement les voies officielles.
Et ça sort quand ? Le film n’a pas encore de date de sortie officielle, mais a Diaphana comme distributeur français.