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Cannes 2025 : on a vu Nouvelle Vague, le vibrant hommage de Richard Linklater à Jean-Luc Godard 

Par Antoine Desrues
19 mai 2025
© ARP / Jean-Louis Fernandez

Ecran Large est de retour sur la Croisette pour le Festival de Cannes 2025. Et c’est l’heure de parler de Richard Linklater (Boyhood) sur le tournage d’À bout de souffle de Jean-Luc Godard.

De Slacker à Everybody Wants Some! en ant par Rock Academy et Boyhood, on ne peut pas dire que la filmographie de Richard Linklater soit la plus simple à définir. Et pourtant, chacun de ses projets renferme une identité propre, une envie de tester, d’une manière ou d’une autre, le sens de ses images et de ses dispositifs.

Lorsqu’il a été annoncé que le réalisateur texan tournait en (et en français) un film sur le tournage d’À bout de souffle de Jean-Luc Godard, ça semblait aussi jouissif que cohérent. Et c’est exactement ce qu’est Nouvelle Vague.

Raz-de-marée cannois

De quoi ça parle ? Ceci est l’histoire de Godard tournant À bout de souffle, racontée dans le style et l’esprit de Godard tournant À bout de souffle.

Et ça vaut quoi ? Toujours aussi productif et éclectique (y compris en 2024 avec le mésestimé Hit Man), Richard Linklater ne cesse d’am et de s’am. Qu’il raconte son enfance par l’animation (Apollo 10 ½), laisse ses acteurs raconter la trajectoire bouleversante d’un couple (la trilogie du Before) ou qu’il filme une vie de famille sur 12 ans (Boyhood), son goût de l’expérimentation se fait sans dogmes, d’où la nature ludique qui transparaît de ses images, même sur ses œuvres les plus mineures.

C’est bien cet état d’esprit qui fait de Nouvelle Vague une évidence dans sa filmographie. Ce faux biopic sur la production d’À bout de souffle de Jean-Luc Godard cherche moins à raconter la pensée et le tournage derrière l’un des films les plus influents de l’histoire qu’à embrasser le joyeux chaos qui en fera un chef-d’œuvre.

nouvelle vague
Aussi inable que le vrai

Quand bien même Linklater joue avec le ratio 1.37 et un noir et blanc qui rappelle celui de Raoul Coutard, sa reconstitution – par ailleurs très soignée – évite de reprendre les effets d’une révolution en marche largement dénaturés depuis. D’aucuns lui reprochent le manque d’audace de sa mise en scène, alors que sa sobriété tient à une grande malice, à un jeu justement : offrir le contrechamp à certains plans mythiques, et ainsi donner une tridimensionnalité nouvelle à l’œuvre dont il raconte la genèse.

Quel intérêt aurait Linklater à reproduire les jump cuts ou les ruptures de la règle des 180 degrés d’À bout de souffle, si ce n’est pour les dévitaliser de leur substance ? C’est même tout le propos du long-métrage : à chaque citation, à chaque inspiration, Godard définit par son patchwork d’influences une ligne ténue et punk entre le plagiat et la révolution. Linklater n’a pas la prétention de bouleverser les codes établis, mais son hommage esquive la muséification d’un film intouchable et de son auteur.

L’amusement du cinéaste réside dans le bouillonnement culturel de toute une époque qu’il capte avec vigueur, que ce soit au Café de Flore ou dans les bureaux des Cahiers du cinéma. Toute la clique est là, de Truffaut à Chabrol en ant par Rivette, symboles d’une soif de nouveauté portée par une pugnacité doublée d’une douce arrogance.

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Le caméfleeeeex !

Cette vivacité doit beaucoup à une direction d’acteurs incroyable, énième preuve du talent de Richard Linklater en la matière. Majoritairement composé d’inconnus sélectionnés pour leur ressemblance physique avec leur rôle, le casting ne tombe jamais dans la piètre imitation. Si Zoey Deutch bluffe le plus, tant elle se fond dans la peau de Jean Seberg. On en oublierait presque qu’on regarde une fiction, d’autant que le personnage possède certaines des plus belles scènes du film, en s’engageant dans ce tournage risqué tout en exprimant des doutes légitimes.

Là, Nouvelle Vague se montre typiquement linklaterien, et se construit sur une mise en abyme de la performance (et pas seulement des acteurs), entre celle que le réalisateur tire de ses comédiens, et celle que les personnages incarnent. Hit Man en était l’exemple le plus explicite : le cinéma de Linklater se ionne pour l’auto-mise en scène de ses protagonistes, le plaisir à opposer sa nature profonde à l’image qu’on veut renvoyer de soi.

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Zoey Deutch, réincarnation parfaite de Jean Seberg

À ce titre, Jean-Luc Godard n’a rien à envier au faux tueur à gages qu’incarnait Glen Powell, grand gamin fantasque à la limite de la bipolarité, toujours sur le fil entre le génie et l’escroc. De quoi rendre le long-métrage toujours drôle et enlevé, sans pour autant égratigner le roi de la Nouvelle Vague.

En réalité, dans cette balance permanente entre le sérieux de l’opération et son sens de l’improvisation plus ou moins ridicule, le film se pose quelques belles questions : et si À bout de souffle avait été mauvais ? Et si c’était le cas, à quoi ça aurait tenu ? Finalement, ce faux making-of rappelle moins ses modèles que le brillant Ne coupez pas ! (la version de Shin’ichirô Ueda, pas le copier-coller de Michel Hazanavicius).

En racontant les déboires d’une production horrifique fauchée, il en émergeait de la tendresse. Un tournage sera toujours un éternel bourbier, dont on ne peut ressortir grandi qu’à travers le collectif. Parfois, ça donne de gentils nanars, et parfois, par le plus grand des miracles, ça donne une œuvre immense et novatrice. Mais dans tous les cas, Richard Linklater n’en oublie pas son mantra : l’amusement.

Et ça sort quand ? Le 8 octobre 2025, grâce à ARP.

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Sanchez
Sanchez
il y a 14 jours

Pas courageux de faire ça quand Godard est mort et éviter que le gars te chie dessus comme il chiait sur 95% des films