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Jamie Lee Curtis traquée par un tueur : le polar ultra-violent injustement éclipsé par Point Break

Par Captain Jim
8 février 2024
MAJ : 20 novembre 2024
Blue steel : Jamie Lee Curtis traquée par un tueur : le polar ultra-violent injustement éclipsé par Point Break

Pas besoin d'occasion particulière pour reparler du malaimé Ron Silver en tueur fou.

À la fin des années 80, Eric Red, Bigelow développe un scénario à partir d’une seule et simple envie : produire un film d’action avec un protagoniste féminin. Le projet intéresse Vestron Pictures qui décide de le financer, mais le cède finalement à la MGM pour cause de banqueroute.

Ainsi naît Blue Steel, qui est tourné en 1988 et diffusé en salles le 16 mars 1990, après un age par la case Sundance en janvier de la même année. Hélas pour Bigelow, le film est boudé par une partie de la critique contemporaine et surtout par le public ; 8,2 millions de dollars de recettes contre un budget de 10 millions, pas besoin d’une calculette pour constater les dégâts. Et c’est bien dommage, car Blue Steel est non seulement un des meilleurs films de sa réalisatrice, mais aussi un des films les plus singuliers produits durant cette période.

 

Blue steel : photo, Jamie Lee CurtisWoman of steel

 

MEGAN, FEMME FLIC  

En 1988, tandis que Kathryn Bigelow dirige ses acteurs sur le plateau de Blue Steel, le Piège de cristal de John McTiernan sort dans les salles obscures, et vient chambouler une certaine vision du héros de cinéma. Son John McClane très humain vient mettre un terme à une décennie de cinéma ultra viril, où la masculinité exacerbée des musclors de l’ère Reagan faisait la loi. Elle laisse la place dans les années 90 à un nouveau type de protagoniste, plus faillible et plus vulnérable. Deux adjectifs qui correspondent parfaitement à l’héroïne de Blue Steel.

Interprétée par une Jamie Lee Curtis tout juste auréolée du succès de la comédie Un Poisson Nommé Wanda, Megan Turner est une jeune recrue de la police new-yorkaise pétrie de contradictions et couverte de fêlures, la plus évidente de toutes ses faiblesses étant sa fascination certaine pour la violence.

 

Blue steel : photoPolice Academy, la vraie

 

À la question « pourquoi est-ce que tu voulais devenir flic ? », qui revient plusieurs fois dans le film, Megan Turner répond d’abord par une boutade : « Je veux tirer sur des gens ». Quelques scènes plus tôt, on la voit réaliser ses photos de diplôme en mimant un pistolet avec son doigt tendu et plaqué contre la tempe de sa meilleure amie. Seulement 24h après l’obtention de son badge de police, la blague n’en est plus une ; la jeune policière est amenée à interpeller un braqueur dans une supérette. Faisant preuve de mesure et d’une délicatesse sans pareille, elle dissuade l’homme en faisant usage de la non-violence… Non, bien sûr que non. Elle l’abat en vidant l’intégralité de son chargeur dans sa poire.

La scène est filmée au ralenti, mettant en valeur les gerbes de sang, qui giclent comme les grands coups de pinceau d’une artiste peintre : on est dans une esthétique de la violence sublimée à 10 000 %, mais une violence qui paraît immédiatement démesurée. Tandis que le braqueur est projeté à travers la vitre du magasin par la puissance des coups de feu tirés par Megan, le spectateur est très vite amené à se demander si elle n’était pas sérieuse quand elle disait vouloir devenir flic pour tirer sur des gens.

 

Blue steel : photo, Jamie Lee Curtis New York, section criminelle

 

PIÈGE DE MÉTAL 

Le cadre institutionnel de la police permet au moins à l’héroïne de mettre sa brutalité au service d’un idéal. L’antagoniste du film, Eugene Hunt (Ron Silver), n’a pour lui aucune barrière qui pourrait entraver ses envies de tirer sur la gâchette. Riche trader auréolé de son succès dans son milieu, voilà qu’il se retrouve par accident pris en otage dans la supérette lors du braquage.

Alors que Megan se déchaîne sur le braqueur, ce dernier laisse échapper son Magnum (le pistolet, pas la glace) au sol, devant les yeux du trader qui s’en empare et fuit la scène avec. Peu de temps après, il enclenche le mode tueur en série et se met à descendre des gens dans les rues de la Grosse Pomme. Son histoire est partie intégrante de celle de Megan, en cela qu’on peut comprendre le personnage comme le Ça de Megan.

 

Blue steel : photoEugene HUNT, vous l'avez ?

 

C’est la relation entre Megan et Eugene qui est peut-être l’élément le plus dérangeant, ou du moins déroutant du film, puisque celui-ci se met en tête de la retrouver et fait tout son possible pour la séduire. Ainsi deux intrigues qui auraient pu être séparées dans une œuvre plus conventionnelle se retrouvent mêlées de la manière la plus intime qui soit : thriller et romance dans Blue Steel ne sont que deux faces de la même pièce.

Pour rester dans le vocabulaire de la psychanalyse, il est impossible de ne pas remarquer que Bigelow filme toutes les armes à feu de manière expressément sexuelle. Dans le générique d’ouverture qui enchaîne les gros plans sur le métal dur et lisse d’un revolver, dans la scène où Eugene ramasse le Magnum (toujours pas une glace) sur le sol en caressant la crosse de ses doigts, dans ses tentatives de jeux sexuels avec Megan, l’érotisme lié à cette extension phallique fétichisée qu’est le pistolet est omniprésent.

 

Blue steel : Ron SilverIl tombera pas plus bas

 

C’est aussi en cela que la figure de Megan Turner surprend. Dans un film comme Blue Steel où le flingue est autant synonyme d'une puissance masculine viriliste, sa figure à elle jure dans le décor. Face à son père violent par exemple, elle devient une enfant castratrice, capable de le placer en état d’arrestation pour protéger sa mère de ses coups. Megan évolue dans un monde fait par et pour les hommes, qui s’exprime jusque dans les lignes très rectilignes de son uniforme.

Elle est littéralement mise en scène comme une anomalie dans un genre cinématographique qui n'a que trop souvent pas su quoi faire de ses personnages féminins, les confinant à des qualités essentialisantes : belles, protectrices, attentives. A contrario, Megan est rebelle, entreprenante, et armée. Elle est en fait l’image miroir de la réalisatrice du film, elle-même une intruse au sein du cinéma d’action américain.

 

Blue steel : Jamie Lee Curtis"Je jure solennellement  que mes intentions sont mauvaises"

 

Kathryn bigflow

Au moment de la sortie de Blue Steel, la presse spécialisée multiplie les articles et interviews sur le film et sa réalisatrice, et tourne en boucle sur un seul et même sujet : comment expliquer qu’une femme jeune et élégante comme Bigelow soit aussi obsédée par la mise en scène de la barbarie ? On comprend d’où vient l’inspiration pour les scènes du film où les hommes demandent à Megan pourquoi une fille « jolie, très belle même » comme elle voulait devenir flic. Il faut pourtant comprendre que la cinéaste voit dans la violence une manière d’interroger les normes sociales de son pays, de filmer l’animalité chez les hommes et de témoigner de l’existence, même dans une société civilisée, de la loi du plus fort.

C’est exactement ce qu’elle propose dans Blue Steel, avec un protagoniste féminin qui tient tête à un homme qui est l’incarnation la plus viriliste de tout ce qu’il y a de plus destructeur : un trader, un agresseur et un tueur. Tout n’est que de la capacité à dompter l’autre, à l'écraser par sa propre violence.

 

Blue steel : photo, Jamie Lee CurtisOeil pour oeil, balle pour balle

 

Mais la véritable singularité de Bigelow à ce moment de sa carrière lui vient de son parcours très atypique. En effet, la cinéaste a d’abord eu une carrière d’artiste contemporaine avant de tomber amoureuse des films de Nicolas Ray. Elle comprend tout de suite le cinéma comme un art total, plus juste politiquement que les autres, car il est capable de s’adresser à tous. Dès lors qu’elle bascule vers la réalisation de films, Bigelow s’efforce de s’éloigner des œuvres trop intellectuelles pour aller explorer le viscéral.

Blue Steel a cela de fascinant qu’il maintient un équilibre très précaire entre ces deux paradigmes : sa mise en scène et son écriture oscillent sans cesse entre un réalisme dur et froid et une approche postmoderne qui préfigure les actioners métafilmiques de la décennie à venir. Au fur et à mesure qu’on avance dans le film, on est autant dans l’action avec Megan qu’à distance, à regarder ce qu’on ne peut que comprendre comme des personnages, c’est-à-dire des figures artificielles, qui sont nées d’un scénario. Tout est si singulier dans Blue Steel.

 

Blue steel : photoParadis artificiels

 

Ceci explique très certainement l’échec cuisant du film, qui reçoit des critiques mitigées de la presse et qui est boudé par le public en salles. Le raté de Blue Steel et même l’existence du film ont très rapidement été éclipsés par la réalisation suivante de Bigelow. Point Break, sorti un an seulement après le précédent, présente à nouveau des personnages dont les natures violentes et indomptables s’affrontent, mais cette fois sans le moindre décalage ou distance avec ses personnages.

Bigelow a ainsi réussi à atteindre le cinéma viscéral qu’elle recherchait avec Point Break et gardera cette approche jusqu’à son dernier film en date, Detroit. D’autant plus de raisons pour se pencher sur Blue Steel, qui détonne autant dans le cinéma de l’époque que dans sa propre filmographie.

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Nico1
Nico1
il y a 1 année

Beaucoup de qualités gachées par un scénario inepte rempli jusqu’à la lie d’invraisemblances.

Ray Peterson
Ray Peterson
il y a 1 année

@的时候水电费水电费水电费水电费是的 Mx, oui c’est une question de point de vue et je l’entends.
Pour moi Ron Silver est vraiment le point négatif du film, pas dans le bon ton, souvent à côté de la plaque par rapport à la Curtis et vraiiiiiiment dans le surjeu. Bref un antagoniste sur le papier excitant mais à l’arrivée peu intéressant
Même dans l’Emprise ou pire et c’est pour dire dans Timecop ,ben j’ y arrive pas.
Mais, je vais essayer de re-regarder Blue Steel pour ça mais j’ai peur de saigner des yeux!

Mx
Mx
il y a 1 année

Notons aussi l’excellent générique d’ouverture, très esthétique.

Mx
Mx
il y a 1 année

Complétement d’accord!!!

Ray= « Ron silver, la cata », perso, je ne suis pas absolument pas d’accord avec toi, bien au contraire, il compose un excellent sociopathe, vicieux, pervers, effrayant, illustrant bien la folie crescendo de son perso, donc, non, pas d’accord.

Sinon, ecran large, des petits dossiers « pas si nul » sur l’île du docteur moreau, piège fatal, piège en eaux troubles ,destination graceland, les insoumis, cela serait cool….

[)@r|{
[)@r|{
il y a 1 année

Cette idée a été exprimée à maintes reprises dans les médias.

Avec quelques ajustement mineurs dans le scénario, ce film aurait pu être une excellente suite à Halloween.

Ciao a tutti !

Ray Peterson
Ray Peterson
il y a 1 année

Un assez bon film policier. De là à dire éclipsé par Point Break…
De sacrés tronches, un soupçons de la team Cameron et une commande bien torché par lamies en scène de la Bigelow!

Ron Silver c’est la cata!
Par contre, le petit Sizemore faisait de sacrés étincelles pour une aussi courte mais mémorable séquence! Et oui, que je suis d’accord, Clancy Brown… For ever.

Flash
Flash
il y a 1 année

Vu au cinoche à l’époque. Excellent petit film , bien tendu.
Et Clancy brown au casting, ça ne se refuse pas.

Pseudonaze
Pseudonaze
il y a 1 année

Loué dans mon vidéo club quand il est sorti en VHS, j’avais é un bon moment devant ce petit thriller plutôt bien troussé (ahlala Jaimie Lee…)

alulu
alulu
il y a 1 année

Je res la team qui n’aime pas.

saiyuk
saiyuk
il y a 1 année

Perso j’aurais trouvé ca injuste si Point Break avait été une bouse, moi perso il m’a plus marqué que Blue Steel malgré Jennifer Lee Curtis