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Point Break : comment ce film culte a transformé Hollywood (et Keanu Reeves)

Par Clément Costa
13 juin 2023
MAJ : 24 mai 2024
Point Break - Extrême limite : photo

Monument du cinéma d’action des années 90, Keanu Reeves.

En 1991, Kathryn Bigelow bénéficie de son tout premier succès majeur au box-office avec Point Break - Extrême limite. La cinéaste avait déjà été remarquée par la critique grâce aux excellents Blue Steel et Aux frontières de l’aube. C’est pourtant bien son film d’action mettant en scène un gang de surfeurs cambrioleurs qui la propulsera sur les devants de la scène.

Vendu au grand public comme un pur blockbuster d’action bourrin, Point Break a été initialement perçu par beaucoup de cinéphiles comme une énième production à base de gros bras et d’explosions. Avec le recul, il semble pourtant évident que Kathryn Bigelow pirate un genre en vogue pour questionner l’idéal masculin que prônait Hollywood à l’aube des années 90. Entre critique du virilisme toxique et homoérotisme jubilatoire, Point Break est un cheval de Troie ionnant pour sa réalisatrice.

 

Point Break - Extrême limite : photoÀ la recherche de la nouvelle vague

 

LES NOUVEAUX HÉROS

Le scénario de Point Break a longtemps fait partie de ces projets maudits qui ent de main en main sans jamais se matérialiser. Ridley Scott est é près du but en 1986 avant de jeter l’éponge suite à de nombreux problèmes de production. Ainsi, lorsque Kathryn Bigelow récupère le projet en 1990, elle va se permettre de modifier largement l’histoire qui lui est confiée. La légende suggère au age que James Cameron, son mari de l’époque, a lui aussi contribué à l’écriture, bien qu’il ne soit pas crédité.

À partir d’un projet archétypal et convenu, la réalisatrice s’attache à faire de Point Break une critique virulente des stéréotypes véhiculés par le cinéma d’action hollywoodien de l’époque. Alors que les années 80 ont vécu l’explosion du film d’action sous testostérone, Bigelow décide de subvertir intelligemment toutes les attentes du public.

 

Point Break - Extrême limite : photoUne campagne électorale mouvementée

 

La première subversion se fera du côté du casting. Même s’il a déjà tourné dans quelques films d’action, dont le sympathique Road House en 1989, Patrick Swayze est avant tout perçu comme le héros romantique de Dirty Dancing et Ghost. Face à lui, le jeune Keanu Reeves a surtout été remarqué pour ses rôles adolescents dans des comédies et des films indépendants. Difficile d’être plus éloigné de l’archétype du héros musclé des années 80 à la Sylvester Stallone ou Arnold Schwarzenegger. Les deux héros de Point Break vont représenter le visage du nouveau héros hollywoodien.

Pour entrer dans une nouvelle ère cinématographique, le film va logiquement mettre en scène la nouvelle génération. Là encore, on quitte totalement l’imaginaire des années 80 et ses vétérans de guerre ou autres super-flics expérimentés. Kathryn Bigelow oppose un bleu à un antagoniste qui affirme en cours de récit qu’il ne vivra pas jusqu’à 30 ans. Point Break filme avec fascination une jeunesse qui ne rentre pas dans le cadre et trouve sa liberté dans le chaos. Une sorte de retranscription à l’écran du mouvement grunge qui envahit alors les radios américaines.

 

Point Break - Extrême limite : photoSmells like teen spirit

 

L’écriture de Johnny Utah, superbement incarné par Keanu Reeves, va totalement renverser la masculinité du héros hollywoodien. Kathryn Bigelow n’hésite pas à nous montrer que son protagoniste n’est pas invincible. Il est peut-être bagarreur et bon tireur, cependant il a besoin de renforts lorsqu’il affronte seul sur la plage un groupe de dealers. Loin d’être John Matrix dans Commando, Utah traine une vieille blessure de lycée qui va l’affaiblir une bonne partie du récit.

D’autant que ce héros n’est pas tout à fait le modèle de charisme attendu. Face au charme magnétique de Bodhi, notre flic infiltré erait presque pour un bon élève un peu trop coincé. Paradoxalement, c’est par sa douceur et sa sensibilité qu’il va séduire l’intrigante Tyler. La force et l’autorité ne sont plus des armes de séduction chez Bigelow. Bien au contraire, c’est en découvrant la véritable identité de son petit-ami que Tyler prend la fuite.

 

Point Break - Extrême limite : photoClairement pas le plus musclé du lot

 

BONS GENRES

De façon plus ou moins consciente, le cinéma d’action hollywoodienne a toujours flirté avec une imagerie homoérotique. Kathryn Bigelow va totalement embrasser cette tradition en abandonnant toute forme de subtilité dans son propos. Impossible de ne pas voir en Point Break un jeu de séduction jubilatoire entre Johnny Utah et Bodhi. Le simple fait que le surnom du voleur soit un homophone de "body" explicite d’entrée de jeu ce rapport au corps et au charnel qui guide le récit.

Tout le film va abonder en ce sens. Citons par exemple la partie de football américain sur la plage, sorte de relecture encore un peu plus directe et sensuelle de la séquence culte de volley dans Top Gun. La métaphore de l’initiation au surf donne lieu à d’innombrables plans à la symbolique phallique aussi évidente qu’amusante. Sans oublier les dialogues truffés de sous-entendus et de doubles sens. Ainsi, avant de sauter en parachute, Bodhi lancera à son adversaire : "tu me veux si fort". Difficile de faire plus explicite.

 

Point Break - Extrême limite : photoAttrape-moi si tu peux

 

La mise en scène de la cinéaste va constamment mettre en lumière ce désir refoulé. Lors des séquences mettant en scène les deux héros, Kathryn Bigelow utilise énormément le champ-contrechamp. Dans ces cas là, presque chaque plan mettant en scène Bodhi est un contrechamp destiné à traduire le regard que Johnny porte sur lui.

En prenant en compte cette perspective, on revoit autrement la sensualité de la mise en scène. Le fait que la caméra s’attarde longuement sur le corps souvent torse nu de Bodhi, sur sa maîtrise des éléments... Tout cela est influencé par la subjectivité de son compère et rival. La cinéaste s’ama même à suggérer toute la frustration que ressent Johnny lors de la séquence culte où il tire en l’air avec son arme plutôt que de toucher le voleur.

 

Point Break - Extrême limite : photoUne question de regard

 

Contrairement à ce que l’on pourrait penser à première vue, Point Break n’est pas qu’une histoire d’hommes. Tyler, incarnée par Lori Petty, vient elle aussi trouver une place importante dans le récit et contribue à troubler le rapport aux genres. Bien qu’elle soit étrangement écartée lors d’un dernier tiers qui la ferait presque er pour une demoiselle en détresse, la jeune femme bénéficie d’une écriture subtile et complexe. On la remarque d’abord pour sa force de caractère. C’est elle qui a le contrôle de son couple, c’est encore elle qui enseigne Johnny.

Avec ses cheveux courts, son prénom non genré, elle incarne sous bien des aspects une certaine vision classique de la masculinité hollywoodienne. On la voit ainsi participer au match de football sur la plage et jouer tout aussi brutalement que ses compères masculins. D’autant que la mise en scène s’assure de toujours placer Tyler et Johnny à égalité dans le cadre. Le seul moment où l’un des deux prend une position dominante, c’est lorsque l’héroïne menace Johnny après avoir découvert sa véritable identité.

 

Point Break - Extrême limite : photoEn couple, mais c'est compliqué

 

A HISTORY OF VIOLENCE

Décision troublante pour un film d’action, Point Break met en scène des personnages masculins qui ne parviennent jamais qu’à empirer la situation lorsqu’ils ont recours à la violence. D’un point de vue purement narratif, chaque séquence d’action annonce une escalade vers le désastre. Il ne s’agit jamais d’un simple moment divertissant et encore moins d’une résolution de conflits.

Citons à ce propos l’attaque du gang des dealers qui termine en bain de sang et vient gâcher des années d’enquête et d’infiltration pour un agent. Dans la même veine, la fameuse course-poursuite après le braquage ne contribue qu’à dévoiler l’identité de Johnny aux voleurs et ne mène à aucune arrestation. Enfin les duels au corps à corps entre le héros et Bodhi ne font que décupler leur frustration, mais n’apportent aucune résolution dramatique. Oubliez la catharsis, Kathryn Bigelow crée un héros d’action impuissant.

 

Point Break - Extrême limite : photoJohn Wick : Hésitation

 

Cette ime de la violence est incarnée très littéralement par Bodhi et ses hommes. Ils agissent autant que possible de façon non violente. Le meneur avouera même détester la violence. Là encore, une confession qui ne colle pas du tout à l’image classique du criminel hollywoodien. Toute la réussite des casses repose ainsi sur l'agilité et la rapidité du groupe. Le seul braquage qui nécessitera un affrontement armé tournera au désastre et coûtera la vie à plusieurs voleurs.

Mais c’est surtout lors du dénouement final que la réalisatrice expose plus que jamais son dédain de la violence et sa vision de l’héroïsme masculin moderne. Après un long-métrage explosif et nerveux, l’affrontement final se fera à distance. On expédie rapidement un combat sans enjeu pour voir Johnny libérer Bodhi alors que ce dernier nage vers une mort certaine. Les coups et l’arrestation de force n’auront servi à rien. Dans cette résolution ive, tout le monde perd et aucune dose de virilité n’y changerait quoi que ce soit.

 

Point Break - Extrême limite : photoFace à la mer...

 

Avec Point Break, Kathryn Bigelow montre à quel point elle comprend à merveille toutes les thématiques ainsi que l’esthétique du cinéma d’action hollywoodien. La cinéaste s’empare d’un genre particulièrement codifié pour le plier à sa vision artistique et offrir une œuvre bien plus fine et subversive qu’elle n’y paraît. Le nouveau héros selon Bigelow est un portrait touchant d’une jeunesse qui doit affirmer son identité.

Cette identité est trouble, repousse les questions de genres et de sexualité. La cinéaste ouvre la voie à un héroïsme novateur, fragile, qui conduira à l’abandon progressif des héros musclés tout-puissants. Une quête qu’elle prolongera tout au long de sa filmographie ionnante faite de femmes fortes et d’hommes complexes.

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Miss M
Miss M
il y a 1 année

Assez d’accord avec l’analyse de @的时候水电费水电费水电费水电费是的 captp. Après avoir vu le docu sur Keanu Reeves sur Arte et voir autour de moi des « oh mais comment t’as pu er à côté de ce chef-d’oeuvre » à veux-tu en voilà, je me suis décidée à le voir il y a quelques soirs de cela.
Mouais… bon… bof. Reeves est certainement plein d’envie d’être un acteur, de jouer, etc. Mais il n’est pas bon et c’est tout. Point. Beaucoup de dialogues sont plus que risibles. Les femmes sont des faire-valoir inutiles et dispensables.
Il y a bien des moments jolis ici ou là, mais moi personnellement je ne suis pas ressortie de ce visionnage avec des étoiles dans les yeux.

Morcar
Morcar
il y a 1 année

Je revois toujours ce film avec plaisir. Evidemment, il faut le voir en prenant en compte le contexte de l’époque à laquelle il est sorti. Mais faisant partie des films que j’ai fait découvrir à mes enfants ados, ils ont tous aimé également, bien qu’ils fassent partie de la génération 2000 (et même 2010 pour le plus jeune).

Dodimagio
Dodimagio
il y a 1 année

A l’époque ce film je crois qu’on peut dire de c’était un banger

Eddie Felson
Eddie Felson
il y a 1 année

Bah non je le regarde toujours avec plaisir:)!

captp
captp
il y a 1 année

Au delà du fait d’avoir rarement vu un scénario et des dialogues aussi con l’analyse me laisse perplexe. Le côté crypto-gay est indiscutable par contre le côté fin et nuancé m’est é bien bien a côté. la transition de l’homme musclé, viril et moche avec deux neurones des années 80 à l’homme viril,beau gosse et Intelligent.le rôle de la femme est toujours d’être là comme une fleur pour tout poucave en 2min ,tomber amoureuse et se faire bêtement kidnapper pour être sauver par le héros.
Si les scènes d’actions sont plutôt soignées (mention a celle dans l’appartement avec le chanteur des red hot qui a bien fait de continuer a chanter)et fun ,le reste est un mauvais top gun à la plage. Kenu etait déjà fort nul à l’époque.(ils sont où les haters de Léa seydoux pour critiquer son jeu et lui cracher à la gueule ? )
Non non c’est certainement l’âge que vous aviez a la réception du film a l’époque qui vous fait « louanger » avec nostalgie 😮

Eddie Felson
Eddie Felson
il y a 1 année

@Saiyuck je plussoie, un p…. de casting, une réalisation nerveuse à souhait le tout emballé dans une bande son d’enfer! Culte! Vu 4 fois en salle à l’époque et un bon paquet de fois depuis et je ne m’en lasserai jamais!

Saiyuk
Saiyuk
il y a 1 année

On peut analyser a outrance le film, ses thématiques, sa philosophie, mais au delà de ca il reste 30 ans après un putain de polar-action avec deux acteurs complémentaires, sans oublier Lori Petty et Gary Busey. Un grand film.