Films

Else : critique d’une cuisine fusion

Par Mathieu Jaborska
28 mai 2025
MAJ : 28 mai 2025

Cette année, le grand prix du Festival du Film Fantastique de Gérardmer a été attribué Thibault Emin. Aboutissement d’un développement de plus d’une décennie, dérivé d’un court-métrage, il est assurément trop radical pour faire l’unanimité auprès de tant de festivaliers. Mais il serait dommage de er à côté d’une œuvre aussi singulière, qui ose à ce point afficher ses ambitions poétiques. En salles dès ce 28 mai 2025.

© UFO Distribution

What Else ?

Ça commence avec une romance, entre le réservé Anx et l’excentrique Cass. Puis, une épidémie éclate et le couple nouvellement formé se confine dans un petit appartement. A première vue, Else ressemble à ces films post-COVID nés de la merveilleuse idée de rappeler au monde une période qu’il fait tout pour laisser derrière lui. Sauf que le projet date de bien avant 2020. Les quelques parallèles qu’on est forcément tentés de faire, surtout dans la première partie, sont donc purement fortuits.

Deuxième hypothèse : comme d’innombrables réalisateurs signant leur premier film fantastique, Thibault Emin a opté pour le huis clos afin de ménager un budget limité. Oui, mais non. Bien que le cinéaste doive composer avec une enveloppe qu’on devine très fine, il ne fait aucun compromis aussi bien narratif qu’esthétique, l’appartement étant un microcosme absorbé par un macrocosme qu’on aura tout le loisir de contempler. À peu près aussi fauché qu’il est ambitieux (donc très), Else ose un grand écart artistique incroyablement périlleux, qui aurait à lui seul justifié son visionnage s’il était raté. Miracle : il est réussi.

Else
Matthieu Sampeur et Edith Proust, assez mignons dans les rôles principaux

La réalité, c’est que le film échappe très rapidement aux présupposés et aux adjectifs qu’on accole généralement aux productions du genre. Même le terme « cronenbergien », qui sera probablement très utilisé, décrit assez mal sa beauté plastique. Loin, très loin des difformités psychanalytiques du Canadien, sa body-horror lorgne plutôt sur le psychédélisme, avec un résultat unique à la clé. En fait, on peut même difficilement parler de body-horror, puisqu’à l’exception d’une scène référencée, il esquive les codes de l’horreur.

Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas pour les remplacer par un drame social au rabais. À rebours de la plupart de ses contemporains, Emin choisit de cultiver la dimension poétique, voire philosophique, de ses mutations. L’artiste s’inspire délibérément du « métamorphisme », terme géologique désignant les transformations physiques de la roche, qu’il déploie aussi bien dans son univers en déréliction que dans la cervelle de ses personnages.

Else
Comme un roc

Fusions/acquisitions

Plus concrètement, ça e par la nature de l’épidémie, à savoir la fusion… de tout. Murs, meubles, individus… Un concept vertigineux dans lequel le récit plonge sans filet jusqu’à une dernière demi-heure carrément expérimentale. Grâce à son décor limité, le cinéaste étend le principe à chaque strate de son œuvre, le transformant en perspective artistique à part entière.

Un exemple parmi d’autres : le long-métrage lui-même mute au cours de la projection, aussi bien en termes de palette chromatique que de grain. Une idée archi casse-gueule, qui se fond pourtant merveilleusement bien dans cet état d’altération perpétuelle, de concert avec des effets spéciaux tout droits échappé de l’atelier d’un plasticien. Ceux-ci brillent notamment lors d’une séquence centrale somptueuse, au cœur des enjeux thématiques et émotionnels du film.

Else
Dans de beaux draps

Car Else n’est pas seulement une bizarrerie téméraire. L’épidémie n’étant pas traitée comme le cinéma d’horreur a l’habitude de le faire, c’est-à-dire comme un antagonisme omniscient, le film ausculte la notion même de changement. Sans complètement laisser de côté les implications politiques de ce programme (d’ailleurs, l’une des rares idées un peu grossières du début en fait partie), il prend un recul poétique, entre l’appartement exigu d’Anx et l’univers en train de redéfinir son rapport à la matière.

Else propose finalement peut-être une belle expérience du deuil, de la douleur qu’il occasionne jusqu’à l’apaisement qu’il exige. Le deuil des gens, des corps, et le deuil du monde qu’on n’a autrefois connu, qui se métamorphose à vitesse grand V. Aussi bien grâce à son originalité que grâce à ce thème, il constitue un contrepoint parfait au culte de la nostalgie qui contamine le cinéma grand public jusqu’à le vider de sa substance. On avait bien besoin de quelque chose d’autre.

Else
Rédacteurs :
Résumé

Un premier long-métrage unique en son genre, qui puise dans son concept vertigineux plus de beauté que d’horreur. Espérons que Thibault Emin aura l’occasion d’en réaliser d’autres.

Tout savoir sur Else
Vous aimerez aussi
Commentaires
Veuillez vous connecter pour commenter
0 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires