A Different Man : critique d’un Cronenberg à la sauce Woody Allen

Par Clément Costa
25 mai 2025

Entre comédie noire et thriller psychologique, Adam Pearson, le nouveau film A24 livre une relecture de la figure du double dans un récit trouble et envoûtant.

LES HOMMES IRRATIONNELS

Acteur amateur qui va de casting raté en casting raté, Edward se voit proposer un traitement révolutionnaire pour sa neurofibromatose. En parallèle, il noue une relation improbable et complexe avec Ingrid, sa nouvelle voisine de palier. C’est sur cette base relativement simple et pourtant ionnante que le cinéaste Aaron Schimberg construit A Different Man, son troisième long-métrage. Inutile de faire durer le suspense, on comprend parfaitement pourquoi le film a fait autant de bruit outre-Atlantique lors de la saison des récompenses.

Le premier acte du récit se présente sous la forme d’une comédie noire subtile et particulièrement grinçante. On est immédiatement frappés par la photographie de Wyatt Garfield (Les bêtes du Sud sauvage). Tourné en 16mm, le film adopte une esthétique organique et intimiste tout simplement saisissante. Le grain de l’image évoque bien plus le cinéma new-yorkais des années 70 que l’esthétique lissée des productions A24.

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Une photographie à couper le souffle

Dans la droite lignée du grand cinéma new-yorkais, l’humour de Woody Allen semble être une inspiration majeure pour Schimberg. On retrouve ainsi l’amour du quiproquo, l’arrivée bouleversante d’une femme mystérieuse, les réflexions métatextuelles sur l’art et le théâtre ainsi que le goût des dialogues cinglants et philosophiques. La recette est détournée avec une joyeuse agressivité absolument déconcertante.

L’aspect métatextuel est omniprésent dans l’écriture de Schimberg. A Different Man semble réfléchir à l’œuvre globale de son cinéaste, obnubilé par les personnages défigurés et rejetés. Le film verbalise également sa propre conception en questionnant la dimension morale de maquiller un acteur séduisant plutôt que d’aller chercher une personne souffrant réellement de la maladie traitée. Et au milieu de ce cirque amer, Adam Pearson se livre lui aussi à une réflexion semi-biographique ionnante.

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Guerre et amitié

EN DÉCALAGE

On pourrait décrire A Different Man comme le film de malaise par excellence. Aaron Schimberg joue constamment sur le décalage et le contre-temps. À l’image de la bande-originale particulièrement déconcertante signée Umberto Smerilli. Entre jazz, opéra et références aux classiques du cinéma italien, la partition ne cesse de nous prendre par surprise.

Il en va de même pour l’écriture qui va d’un genre à l’autre sans prévenir. Ce qui ressemble à une comédie noire assez linéaire bascule vers le thriller psychologique avec comme point de bascule une séquence de body horror saisissante. Il ne s’agit pas d’expérimenter par pur maniérisme. Le récit se tient parfaitement, tant sur le plan émotionnel que théorique. Chaque évolution vient compléter la précédente, comme si c’était une évidence.

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En avant la musique

Même au sein d’un même segment, le cinéaste américain parvient à détourner nos attentes. Il utilise ainsi le malaise comique comme moyen de réflexion avec un jusqu’au-boutisme dont peu de réalisateur sont capables. Une maîtrise particulièrement visible lors d’une séquence de sexe qui joue sur tous les tableaux. On perçoit un certain effroi, un fou rire nerveux se fait entendre et on devine également une dimension profondément tragique qui est refoulée en silence.

A Different Man s’avère particulièrement riche dans sa relecture de grandes références. Impossible de ne pas voir la présence du cinéma de Cronenberg, et ce bien au-delà des clins d’œil évidents comme cette machine à écrire qui parasite tout le récit en nous rappelant Le Festin Nu. On pense parfois à L’Opération diabolique de John Frankenheimer. En cours de route, c’est Le Double de Dostoïevski qui apparaît comme une évidence. Et le film se retrouve même à dialoguer involontairement avec The Substance dans son traitement de la dualité des corps et du fantasme. Plus qu’une série superficielle de citations, Aaron Schimberg livre un mariage de thématiques à la densité vertigineuse.

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Mégalo peau lisse

DOUBLE JE

Ce qui semble intéresser avant tout Schimberg, c’est la relecture ambiguë qu’il fait de la figure du double. Edward change de peau mais continue de lutter avec ses insécurités, son mal-être et son dégoût intérieur. À ce propos, Sebastian Stan fait un travail fabuleux pour traduire cette continuité une fois le masque tombé dans sa gestuelle et son langage corporel. Même quand il touche du doigt la vie dont il rêvait, son personnage ne peut que la sacrifier car incapable de traduire sa transformation physique en émancipation psychologique.

À l’inverse, le personnage incarné par un Adam Pearson solaire au possible vient réveiller toutes les insécurités du héros. Edward rêvait de devenir tout ce que vient incarner Oswald. Un homme différent au sens plein. Quelqu’un qui ne se laisse pas limiter à son apparence, qui jouit d’une présence magnétique naturellement fédératrice.

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The worst person in the world…ou pas

Dans cette analyse de la dualité et des contradictions, A Different Man s’intéresse tout particulièrement aux défauts de ses personnages. Révélée à un très large public grâce à Julie (en 12 chapitres), Renate Reinsve incarne cette fois encore une femme complexe. Ingrid est à la fois brillante et froide, empathique mais égoïste. Le récit se refuse systématiquement de porter un jugement de valeur à ses actes.

Il en va de même pour Edward. On ne peut qu’éprouver une immense empathie envers un protagoniste si sensible. Le film ne nous cache cependant rien de sa part d’ombre, sa jalousie venimeuse et sa violence intérieure. Et même Oswald, aussi lumineux soit-il, en vient à blesser ceux qu’il côtoie sans même le réaliser tant son énergie emporte tout sur son age. Aaron Schimberg garde un œil trouble sur ses personnages. Cette complexité amorale fait de son long-métrage une réussite envoûtante qui reste en tête et grandit avec le spectateur.

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Rédacteurs :
Résumé

Exercice stylistique à la fois brillant et déconcertant, A Different Man est porté par une écriture complexe et profonde. Ajoutons à cela des comédiens pleinement investis et nous voilà face à une très belle réussite qu’il ne faut absolument pas manquer.

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cidjay
cidjay
il y a 7 jours

A24, toujours dans les bons coups (ou presque).
celui là, j’avoue qu’il me titille sévèrement.

reth
reth
il y a 7 jours

Cela semble être un joli film

Prisonnier
Prisonnier
il y a 8 jours

A24 a encore frappé