La Chute de la Maison-Blanche
Avec le premier épisode de La Résidence, on peine à savoir sur quel pied danser. Lors d’un dîner d’État majeur avec l’Australie, le directeur du personnel de la Maison-Blanche, A.B. Wynter (Giancarlo Esposito, décidément partout entre Captain America 4 et The Electric State), se fait assassiner. Intransigeante, sujette au stress et à la détestation d’une bonne partie de ses subalternes, la victime laisse derrière elle un bon paquet de suspects.
Pour résoudre le crime, le saint lieu américain est barricadé, et on fait appel à la meilleure détective du monde : Cordelia Cupp (Uzo Aduba, savoureuse en Hercule Poirot loufoque et impertinente). Le temps de cette mise en place, la série semble se chercher, trop fière de son concept aguicheur et de l’architecture de la maison présidentielle, dans laquelle la caméra se plaît à naviguer.
Mais petit à petit (dès l’épisode 2 à vrai dire), elle trouve son tempo, oserait-on dire son élégance, en accord avec la vivacité de sa mise en scène, tout en panoramiques vifs, champs contrechamps nerveux et effets de montage à rebonds. Tandis que l’enquête progresse, le récit de la fameuse soirée est développé en parallèle lors d’auditions au Congrès. Les dialogues et les temporalités se croisent pour mieux nous perdre dans le flot d’indices que l’enquêtrice sait emmagasiner comme un ordinateur.
La contrepartie – format sériel oblige – réside dans la répétition régulière de ces nombreux éléments, infantilisant quelque peu le spectateur au gré de révélations plus ou moins improbables. C’est tout le programme de La Résidence : en s’inspirant du livre du même nom, suite de témoignages sur les occupants de la Maison-Blanche et son staff, les huit épisodes s’amusent à montrer comment une machine en apparence bien huilée se grippe, et révèle des aberrations au sein d’un système toujours dépendant des imperfections humaines.

United States of Cluedo
Le résultat oscille entre ses bonnes trouvailles et ses déceptions régulières, alors qu’un suspect se distingue à chaque chapitre. Là où la série brille le plus, c’est dans l’intimité de ses personnages (une histoire d’amour naissante entre deux employés, les vexations de chacun, les guerres d’ego). Mais à l’image de son héroïne volatile, l’ensemble vivote au milieu de ces caractérisations, et en profite pour amoindrir la dimension pourtant politique de sa démarche.
En plus de mettre en scène un président homosexuel, La Résidence laisse sous-entendre que le mandat du chef d’État ne démarre pas sous les meilleurs auspices. Le meurtre n’embête pas tant d’un point de vue sécuritaire. C’est une énième atteinte à l’image déjà bien entachée du leader. Pour autant, le scénario ne dée jamais cette note d’intention, et assume même d’invalider rapidement les pistes pouvant mener à de la corruption ou à l’idée d’un assassinat politique.
Derrière son ton léger, ses portes dérobées et son suspense souvent efficace, la série n’évite pas une certaine vacuité, qu’on pourrait mettre sur le dos de sa lâcheté. Il y a pourtant beaucoup à dire sur ce staff résigné, parfois en service depuis de nombreuses décennies, et qui se doit d’effacer ses propres convictions pour être au seul service de la Maison-Blanche, et de l’institution qu’elle représente.

Difficile, surtout dans le contexte actuel, de se contenter d’une petite blague sur les caprices incongrus du président. Il ne s’agit pas que d’une question d’individus, ce que La Résidence se plaît pourtant trop à marteler pour se dédouaner. On aurait souhaité que la Détective Cupp déconstruise plus méchamment ce panier de crabes, à l’image de sa critique – pour le coup amusante – d’une bureaucratie aussi rigide que guindée.
Faute de mieux, Paul Williams Davies noie le poisson avec quelques éléments satiriques, en particulier sur le mépris de classe. Non seulement cette approche réduit drastiquement la liste des coupables, mais on avait déjà vu ça ailleurs, et en plus mordant, chez Rian Johnson et ses À couteaux tirés. Au moins, la production de Shonda Rhimes a le mérite d’endosser cette filiation, puisqu’il s’agit du titre de son troisième épisode. Dommage qu’avec une telle promesse et un tel casting (pour le coup très inspiré), on doive se contenter d’un énième dérivé Netflix. À force, on pourrait y voir le mantra de la plateforme : l’efficacité au détriment de la valeur ajoutée.
La Résidence est disponible en intégralité sur Netflix depuis le 20 mars 2025.
