187 : Code meurtre, le film qui vous fait er l'envie de retourner à l'école.
Non, il n'y a pas de début de carrière meilleur qu'un autre, mais lorsque Steven Spielberg vous donne un petit coup de pouce pour démarrer dans le métier, on peut légitimement supposer qu'il y a pire. C'est justement ce qui est arrivé à Kevin Reynolds, dont le premier long-métrage, Une Bringue d'enfer (ou Fandango en version originale), a pu voir le jour grâce au soutien du papa des Dents de la mer.
Quelques années plus tard, il s'assure une vraie visibilité en dirigeant Kevin Costner dans Robin des bois : prince des voleurs puis Waterworld. Et si le premier connaît un succès commercial retentissant, le second est, hélas, un échec cuisant. Pour se refaire une santé loin de la case "blockbusters", le réalisateur revient alors à un cinéma plus modeste avec 187 : Code meurtre. Dans la lignée de The Substitute et Esprits rebelles, le film catapulte Samuel L. Jackson en pleine jungle scolaire et troque la bien-pensance habituelle du genre contre une violence amorale et radicale.
"Aujourd'hui, je vais vous apprendre à filer droit"
CURSUS CARCÉRAL
Auréolé de la mention "écrit par un professeur", qui fera l'objet d'un carton avant le générique de fin, le film entend représenter le plus fidèlement possible la réalité scolaire dans les quartiers difficiles de Los Angeles. Et tenez-le-vous pour dit, cela n'a rien d'une partie de plaisir. Sorti indemne d'une agression subie sur son ancien lieu de travail, Trevor Garfield (Samuel L. Jackson) accepte d'être professeur remplaçant dans un lycée en plein ghetto. À son arrivée, il doit tenir tête à un groupe de caïds, délinquants notoires faisant régner la peur dans l'établissement.
Ce qui intéresse Reynolds ici, malgré sa déférence au scénario d'origine, c'est de dépeindre le lycée à la façon d'un pénitencier et d'en extraire la part la plus cauchemardesque. "Pour moi, les réalisateurs dignes d'intérêt sont ceux qui utilisent la caméra de telle sorte qu'elle donne à percevoir une scène d'une façon tout à fait particulière. Cela dépend avant tout de ce qu'ils retirent ou intègrent, de ce qu'ils choisissent d'accentuer", expliquait Reynolds lors d'une interview pour le site Den of Geek. Et force est de constater que le cinéaste applique ce qu'il défend.
Asseoir son autorité ou mourir
Quand Garfield traverse les couloirs ou la cour extérieure de l'école, le réalisateur prend soin de l'isoler du reste des élèves qu'il croise, soit par une suite de champs-contrechamps qui renforcent l'opposition entre eux, soit en jouant sur le flou en arrière-plan, notamment lorsque le héros tourne le dos à sa classe, reléguant les lycéens à une masse lointaine et menaçante. Ces partis pris de mise en scène redéfinissent également le décor, les salles de classe s'apparentant très vite à des cellules (les stores aux fenêtres rappelant des barreaux), sans compter les grilles qui délimitent les différentes ailes de l'établissement comme autant de clôtures de sécurité.
Oui, on s'instruit et on enseigne dans ce lycée de la même façon qu'on purge une peine de prison, et cet enfer scolaire est judicieusement retranscrit via plusieurs ralentis et travellings circulaires, venant d'un côté suspendre les rites quotidiens des élèves (les parties de basket-ball, les séances de graffitis...) et de l'autre, matérialiser un microcosme en vase clos. Tout semble ainsi voué à se répéter inlassablement, et c'est cette absence de perspectives qui ajoute au nihilisme tragique du film (idéal pour tester votre résistance à la déprime).
Quelqu'un lui dit pour les lunettes ?
GANGSTA STYLE
Comme tout film frayant avec la criminalité et la délinquance, 187 : Code meurtre ne fait pas dans la dentelle côté expression orale. Quand il donne la parole aux enfants de choeur (c'est faux) qui composent la classe de Garfield, les injures pleuvent à un rythme métronomique, et ce grand déballage trivial est l'occasion pour Reynolds de traiter chaque joute verbale entre le professeur et ses élèves à la manière d'une battle de rap. D'où une musicalité qui imprime chaque plan, bien aidée aussi par une bande-son aux petits oignons, à la gloire des mélodies trip-hop du groupe Massive Attack (juste un régal !).
Les transitions d'une scène à l'autre se font bien souvent au moyen d'intermèdes vaguement clipesques où l'on voit les élèves et plus spécialement les pires éléments du lycée déambuler, fumer, "à la cool". Tous ces moments convoquent une imagerie du gangstérisme telle que déjà popularisée par les cadors en la matière ; Martin Scorsese, Brian De Palma, Quentin Tarantino et d'autres encore avant eux. Pour autant, il est intéressant que cette attitude subversive s'inscrive dans un cadre scolaire où la discipline est de rigueur, et c'est tout le projet esthétique du film que de montrer comment deux conceptions du monde se phagocytent.
Image exclusive de David et Goliath dans la cour de récré
Se sentant pousser des ailes après avoir dû composer avec un bestiau tel que Waterworld, Reynolds se comporte en parfait contrebandier en faisant appel aux talents d'Ericson Core, chef opérateur issu du monde de la vidéo. Leur association les autorise à expérimenter bien plus que la moyenne. Les aberrations chromatiques sont légion, déformant l'image lorsque les enjeux s'y prêtent, tandis que la caméra n'hésite pas à se balader spontanément d'un personnage à l'autre, semblant parfois naviguer à vue. Une démarche stylistique qui culmine lors d'une scène en classe tournée à la façon d'une vidéo "amateur".
Cette propension à créer de l'anomalie devient au final la norme, postulant la victoire du ghetto et de ses adeptes du chaos sur les tentatives désespérées de Garfield de rétablir l'ordre. Pour autant, le film préfère nuancer son propos en montrant que chacun a ses chances au départ, à l'instar du personnage de Rita, élève maltraitée, mais bien décidée à ne pas laisser la culture de la haine dicter sa conduite ni même sa vie. Une lueur d'espoir qui peine malgré tout à illuminer le tableau d'ensemble, pas franchement optimiste.
OEIL POUR OEIL, DENT POUR DENT
"À l'époque, je vivais dans un monde merveilleux (…) et un jour, un gamin avec un poinçon m'a démontré que je vivais dans son monde", confesse Garfield à sa collègue. C'est là que s'épanouit la pulsion amorale du film, dans cette désillusion initiale qui met en branle le héros et le pousse à se montrer plus féroce que les perturbateurs professionnels de sa classe. Et à ce jeu-là, Samuel L. Jackson est impérial, sachant autant susciter la comion qu'inspirer la peur (un équilibre précieux qu'il retrouvera avec son rôle d'Elijah Price alias Mr. Glass dans Incassable).
On e ainsi du drame social en milieu scolaire à un vrai récit de vengeance, le gentil professeur se transformant peu à peu en Punisher des bas quartiers, sortant la nuit pour "rectifier" ceux qui l'humilient le jour. La valeur pseudo-réaliste du film (on n'oublie pas que le scénariste a lui-même été enseignant) en prend nécessairement un coup une fois le age à l'acte de Garfield, mais l'intrigue y gagne en complexité psychologique en même temps qu'elle rend notre identification au protagoniste de plus en plus ambiguë et discutable.
S'ils sont un peu ostentatoires, les symboles religieux (un chapelet par-ci, une croix par-là) donnent une ampleur quasi biblique à cette histoire. Quand le soleil se couche au moment de la confrontation finale, on a tout bonnement l'impression que l'heure du Jugement Dernier a sonné. Les prières de Garfield vont aussi en ce sens, ramenant Dieu dans l'équation, comme si la situation ne pouvait se résoudre que sous l'influence d'une puissance supérieure.
Que la célèbre scène de la roulette russe de Voyage au bout de l'enfer soit ouvertement citée lors du dénouement opposant le héros à César (la révélation Clifton Collins Jr.) redit à quel point les personnages sont en guerre. Alors certes, on n'est plus au Viêtnam, mais c'est tout comme (ou presque), le sacrifice des uns étant nécessaire à la survie des autres, et au réveil des consciences en prime. Difficile néanmoins de se réjouir à la fin tant on ressort secoué de cette vendetta jusqu'au-boutiste. Après tout, mieux vaut un bon électro-choc qu'un petit court-jus sans intérêt.
Pressera ou ne pressera pas la détente ?
En dépit du bide cosmique qu'il a fait au box-office américain à sa sortie (seulement 5,7 millions de dollars récoltés), 187 : Code meurtre mérite bel et bien d'être réhabilité. Son discours désenchanté sur la faillite du système éducatif, du moins dans les quartiers difficiles, a sans doute déplu à beaucoup de spectateurs, mais c'est pourtant là où le film se fait le plus incisif et mémorable. Et pour ne rien gâcher, Samuel L. Jackson y livre l'une de ses meilleures performances. Alors, si vous vouliez redonner une chance à une production estampillée Warner Bros à l'occasion du centenaire du studio, vous savez désormais vers laquelle vous tourner !
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Pour moi c’est un des meilleurs rôles de Jackson (avec Changing lanes entre autres), le meilleur Reynolds après The Beast, noir de chez noir une bande originale de fou (spyglass de Massive Attack en intro), épuré, tendu et qui se revoit encore très bien aujourd’hui.
En revanche, la référence à Punisher dans le titre, ah bon? on n’as pas vu le même film alors… c’est pour le racolage ?
Cheers.
C’est l’anti « esprit rebelle ». J’aime profondément ce film pour sa radicalité dans le sens où il va à fond dans sa thématique sans aucune complaisance. On est pas dans le cinéma social français de base. Ici on montre une realite sans detour, mais le geste du prof contre cette réalité est aussi ce qui est dénoncé dans le film. La plan où on les voit tous à la morgue à la fin est glaçant (sans mauvais jeu de mot). Il y a ca mais aussi et surtout les interprétations magistrales de Samuel L. Jackson tout en ambiguïté (c’est un de ses rôles préférés d’après ses dires) et Clifton Collins Jr. en « méchant » inoubliable car tour à tour énervant, terrifiant, fragile.
La dernier dialogue pendant la roulette russe à la fin est magistral. « Tu ne respectes que la bêtise » « je voulais vous aider »
Le « je voulais vous aider » à la fin est déchirant dans mes souvenirs.
J’avais adoré ce film à l’époque. L’inteprétation magistrale de Samuel L Jackson qui m’avait beaucoup ému surtout à la fin, l’ambiance guetto de L.A, la fin qui fait écho à voyage au bout de l’enfer comme l’a dit Ray Peterson. J’aimerais le revoir aujourd’hui pour voir si mon regard à changé mais je pense que je l’apprécierais toujours autant.
Un film extrêmement discutable sur sa thématique! Reste un bon Samuel L. Jackson et une séquence assez « culte » faisant écho au chef d’oeuvre de Cimino « The Deer Hunter ».
Kevin Reynolds n’était pas très très grande forme sur ce coup là.
Par ce film j’ai eu ma période film de lycée avec ados pas cool dans le style « The Principal » (Le Proviseur avec James Belushi et le formidable Louis Gossett Jr.), « Class 84 » de Mark « Commando » Lester ou « Dangerous Mind » (Esprits Rebelles avec la Michelle Pfeiffer et son chewin gum) mais franchement ce film reste vraiment plus trash et moins brillant que le film culte de Brooks. Bref, je m’égare.
Je garde un souvenir très mitigé du film, qui dans mon souvenir avait constamment le cul entre deux chaises, reste la classe impérial de du gram sam, dans un registre plus périlleux, et cliffton collins jr en bad guy.