Grâce à Joker 2, les clowns sont à l’honneur au box-office d’octobre 2024. Toutefois, ils n’ont pas attendu Damien Leone et Todd Phillips pour semer la terreur.
Evoluant à la frontière de la vallée de l’étrange, tantôt adorable, tantôt triste, la figure du clown n’est plus systématiquement associée au comique burlesque dans la culture populaire. La faute aux exactions de John Wayne Gacy, tueur en série ayant longtemps porté le nez-rouge, ou à Stephen King ? Difficile à dire. Toujours est-il que les clowns meurtriers, flippants, voire zombies ou extraterrestres se sont multipliés sur les écrans depuis les années 1980.
Il y a désormais de quoi en sélectionner 10, par ordre d’apparition au cinéma. Coulrophobes s’abstenir.

Le Joker
- Première apparition : avril 1966 dans Batman (au cinéma)
- Type de clown : Phobique des chauves-souris

Comment parler des clowns tueurs sadiques sans mentionner le Clown Prince du Crime de Gotham, alias le Joker. Créé par Jerry Robinson, Bill Finger et Bob Kane (bien que la paternité soit débattue), le criminel et évadé d’Arkham est un des plus vieux clowns à avoir infusé l’imaginaire collectif, puisqu’il est né en 1940 dans les pages du premier numéro du comics Batman.
Si son rire dément, ses cheveux verts, son costume violet et son sourire de Glasgow sont connus de tous, son destin a failli être tout autre : il devait à l’origine n’apparaître qu’une seule fois avant d’être tué. Mais les éditeurs ont flairé le potentiel et vite imaginé comment développer cet antagoniste, qui a depuis gagné sa place au panthéon des méchants les plus emblématiques de la pop culture aux côtés de Dark Vador ou Hannibal Lecter.
Un animatronique
- Première apparition : 1981 dans Massacres dans le train fantôme
- Type de clown : artificiel

On triche un peu. Massacres dans le train fantôme ne comporte pas de clown tueur. Il ne comporte pas énormément de clowns tout court en fait. Mais son décor de fête foraine (le titre original est The Funhouse) en contient beaucoup et surtout ils sont au cœur du climax, où un animatronique vient présenter le cadavre du héros à sa petite amie. En vérité, l’utilisation de cette figure à ce moment en dit long sur les qualités de cette série B mal-aimée, qui aurait été préférée à E.T par Tobe Hooper. Bien que lestée par le cahier des charges du genre (pauvre Elizabeth Berridge, forcée de montrer ses seins dès que l’occasion se présente), elle se situe dans le prolongement de son Massacre à la tronçonneuse.

Les multiples menaces fantastiques inhérentes à l’imaginaire des fêtes foraines américaines sont désamorcées par le premier acte les unes après les autres, jusqu’à ce que le scénario nous révèle assez tardivement le véritable antagoniste : l’un de ceux qui tirent les manettes, redneck brimant un fils informe. Détail horrible : celui-ci porte un masque de Frankenstein, exposant la vision du cinéaste. Il ne voit le folklore fantastique que comme un leurre dissimulant la monstruosité ordinaire, tapie dans la crasse de l’arrière-pays de l’Oncle-Sam.
Quelques années à peine après l’affaire Gacy, le clown devient alors le symbole de ce divertissement à l’américaine, maquillant littéralement son ignominie. Hooper s’étant largement inspiré d’un autre tueur en série pour son Massacre à la tronçonneuse, on ne serait pas étonné que Pogo le clown ait infusé son œuvre. Plus tard, bien d’autres films et série s’empareront du double objet flippant que constitue le jouet clown, comme un certain Poltergeist, qu’il mettra en scène juste après.
Les klowns
- Première apparition : 1988 dans Les Clowns tueurs venus d’ailleurs
- Type de clown : Tueurs. Et venus d’ailleurs (extraterrestres donc)

Au cinéma, Ça n’est pas la première bestiole venue de l’espace à se déguiser en clown pour déguster de l’humain innocent. Le but des Killers klowns, ces monstres difformes guignolesques armés de pistolets à popcorn, est plus ambitieux : dominer le monde, en commençant bien sûr par une petite ville américaine, laquelle servira de garde-manger. Les techniques d’exécution sont toutes plus originales les unes que les autres, du cocon écorcheur au jeu d’ombre qui fait apparaître un dinosaure meurtrier.
Bien entendu, le long-métrage des frères Chiodo, légendes des effets spéciaux, est un pur pastiche de slasher SF, doublée d’une lettre d’amour à la science grotesque de la série B bourrée de latex. Il faut voir le design des klowns en question, absurdes tas de chair boursoufflée dont personne ne questionne l’humanité, car tout le monde est vraiment très bête. La parodie vire au génie quand un « klownzilla » débarque dans le climax. Devenu archi-culte pour des raisons évidentes, le film n’a jamais eu de suites malgré les nombreuses tentatives, mais il est é à la moulinette du jeu d’horreur au gameplay asymétrique pas plus tard qu’en juin 2024.
Gripsou le clown
- Première apparition : 1990 dans Ça
- Type de clown : entité démoniaque venue de l’espace

De tous les monstres imaginés par Stephen King, Grippe-Sou est certainement l’un des plus iconiques. Le visage de clown cache les dents acérés d’un dévoreur d’enfants, lequel n’est qu’une facette parmi d’autres pour cette créature extraterrestre déant le temps et l’entendement. C’est le monstre ultime, qui réunit tous les autres en tant qu’incarnation pure de la peur.
Publié en 1986, le roman Ça a connu un boom de popularité en 1991 à la télévision avec Ça : Il est revenu, son adaptation en mini-série. Le génial Tim Curry a été le premier à donner vie à Grippe-Sou dans une poignée de scènes inoubliables (dans le caniveau, dans la bibliothèque, sur le lac…), lesquelles surent sans effort le reste de ce gros téléfilm bavard. Ce Grippe-Sou a traumatisé bien du monde lors de ses diffusions sur M6, et merci pour ça.

En 2017, le clown infernal a eu droit à une nouvelle adaptation, toujours en deux parties mais cette fois au cinéma. Nés dans la douleur, avec le départ du réalisateur Cary Fukunaga et de l’acteur Will Poulter, Ça : Chapitre 2 ont finalement été mis en scène par Andy Muschietti (Mama), avec Bill Skarsgård en Grippe-Sou.
Warner Bros. a mis le paquet (40 millions de budget pour le premier, 80 pour le deuxième) afin d’assurer le spectacle, et le résultat est particulièrement réussi sur les décors et certains maquillages. Mais en misant à ce point sur les sursauts, les transformations et les effets tape-à-l’œil, ce Grippe-Sou apparaît finalement plus e-partout. Tim Curry peut dormir tranquille.
Ah, et il y a aussi une adaptation indienne de Ça : Woh, une série en 52 épisodes sorties en 1998, avec l’acteur de petite taille Lilliput dans le rôle du clown. On n’a pas eu l’honneur de voir le résultat, donc on ne commentera pas.
Le capitaine Spaulding
- Première apparition : 2003 dans La Maison des mille morts
- Type de clown : pas très catholique
Interprété par le regretté Sid Haig, trogne inoubliable du cinéma d’exploitation, le capitaine Spaulding est sans conteste le meilleur personnage de la meilleure partie de carrière de Rob Zombie, à savoir les deux premiers volets de la trilogie Firefly, The Devil’s Rejects. Soit l’histoire sanglante d’une famille de redneck massacrant les touristes ayant eu le malheur de croiser leur chemin. A lui seul, il incarne toute l’ambiguïté que le métalleux prête à ce cinéma tapageur, à la fois moralement indéfendable et étonnamment sympathique, voire attachant. Un paradoxe que son maquillage de clown vient bien entendu exacerber.
Dans le premier volet, il incarne carrément une sorte de Monsieur loyal de l’horreur, à la fois archétype du gardien de station essence inquiétant et chef d’orchestre du tour de train fantôme de la maison éponyme. Dans le second, il achève sa mue en double maléfique de l’american way of life et de son culte du divertissement artificiel, au sein de séquences franchement hilarantes, comme lorsqu’il traumatise à vie un pauvre marmot après avoir tabassé sa maman. Malheureusement, l’état de santé de Haig ne lui a permis qu’une rapide apparition dans 3 From Hell, lequel n’était pas tout à fait aussi réussi sans le grand Cutter.
Art le clown
- Première apparition : 2008 dans The 9th Circle
- Type de clown : Artistique

C’est désormais la coqueluche des amateurs d’horreur : Art le clown est parvenu, grâce à son charisme à toute épreuve et surtout à son sadisme prononcé, à prendre d’assaut le box-office, voire à y humilier un autre clown de cette liste… Créé par l’artiste d’effets spéciaux et réalisateur Damien Leone dans des court-métrages fauchés, réunis au sein de la compilation All Hallow’s Eve, le personnage a depuis eu droit à une trilogie en son honneur, trilogie particulièrement gratinée en termes de gore intitulée Terrifier.
Désormais, Art est devenu une icone du genre, et on comprend pourquoi : conçu comme une variation triste de Gripsou, il fait preuve d’une expressivité de mime jurant avec la violence hallucinante de ses meurtres. Il doit donc beaucoup à la performance de son dernier interprète en date, David Howard Thornton. Par delà l’intérêt véritable de la saga (la tripaille), le personnage revient au burlesque du cinéma des années 1930, ajoutant une dimension slapstick inspirée de Chaplin et Keaton à la foire à la saucisse. Bien qu’imparfaits, les films sont donc assez fascinants vis à vis de leur utilisation du motif clownesque, et pourraient bien relancer l’intérêt général pour la figure, après la réception mitigée du dernier Ça.
Le zombie-clown
- Première apparition : 2009 dans Bienvenue à Zombieland
- Type de clown : zombie
Dans les années 2000, les clowns avaient la côte, les zombies aussi. Pourquoi ne pas les croiser dans la comédie Bienvenue à Zombieland ? Dès la scène d’ouverture exposant les « règles » suivies par le personnage principal, celui-ci affirme à quel point il déteste « ces putains de clowns ». Evidemment, il s’agit de l’une amorce qui trouvera sa concrétisation juste lors du climax, lorsqu’il devra confronter sa coulrophobie à un boss final à grandes chaussures et par la même prouver un courage qu’il prétendait pourtant inexistant.
Pas besoin d’épiloguer sur ce qui n’est qu’une seule scène, mais il faut souligner la qualité des maquillages dudit clown, dégoulinant de sang et particulièrement imposant. De même que l’utilisation d’un marteau testeur de force pour démontrer la valeur du héros témoigne d’une écriture comique assez inventive, bien supérieure à celle du volet suivant. Petit détail amusant enfin : le « pouic » lorsque le nez rouge est écrabouillé, tout droit sorti de… Killers Klowns from outer space.
Javier, Sergio et les autres
- Première apparition : 2010 dans Balada Triste
- Type de clown : rebuts de la société finis à l’acide

Trop rares sont les occasions de parler de Balada Triste, sans doute le meilleur film d’Álex de la Iglesia, et aussi son plus barré. Dans cette lutte à mort entre clowns défigurés, il y a une revisite grotesque, malsaine, politique et désespérée de ce qu’avait pu être la chanson de geste ou la ballade romantique au Moyen-Âge. L’histoire se déroule à la fin du règne de Franco, dans une Espagne morne, grise et meurtrie par la dictature.
Les clowns font plus peur que rire, et leur maquillage exubérant devient peinture de guerre alors qu’un Auguste (Antonio de la Torre) et un clown triste (Carlos Areces) se disputent à la mitraillette les faveurs d’une belle acrobate (Carolina Bang) au sein de leur cirque itinérant un peu moisi.

Lors d’une séquence grandiose se déroulant sur le vertigineux monument Valle de los Caídos, emblème du régime de Franco et future tombe du dictateur, toute la perversion, la rage et la cruauté accumulées par les clowns un peu incels (ou, métaphoriquement, par le peuple espagnol), explosent et brisent tout. Balada Triste, film à la photographie désaturée où tout est sale et dépourvu d’espoir, fait voir tout en noir. Mais il serait trop dommage de er à côté d’une telle expérience.
Stitches
- Première apparition : 2012 dans Dark Clown
- Type de clown : glacier

Besoin d’une série B, voire Z, complètement crétine pour écouler votre stock de 33 Export ? On vous conseille Stitches, a.k.a Dark Clown, où un clown tué par des enfants qui l’ont balancé sur un lave-vaisselle ouvert (oui) revient d’entre les morts pour se venger. Coup de bol : ils ont depuis grandi, ce qui permet de les trucider sans trop devoir faire preuve de remords. Et oui, il s’agit encore d’un clown-zombie, voire même d’un clown boogey-man.
En effet, c’est le point de départ d’un slasher complètement abruti, qui n’a pour lui que les exécutions over-gores de son vrai héros, le clown Stitches. Celui-ci n’hésite pas à extirper l’appareil génital de ses victimes à vif ou surtout – et le film vaut le coup d’œil rien que pour cette scène – faire des boules de glaces avec le peu de matière grise qu’il leur reste. C’est donc peut-être l’un des plus généreux des innombrables Z clownesques qui ont pullulé dans le giron de la culture vidéoclub, pour certains irregardables, pour d’autres trop cyniques pour susciter l’intérêt, comme la saga des Camp Blood ou les inévitables Clownado et compagnie…
Wrinkles
- Première apparition : 2019 dans Wrinkles The Clown
- Type de clown : éducatif

Wrinkles le clown est-il un véritable clown tueur ? C’est la question soulevé par ce documentaire unique en son genre. On y suit Wrinkles, vieux bonhomme vivant dans une caravane et véritable légende urbaine qui se déguise en clown pour effrayer les enfants dans des vidéos devenues virales, sur demande des parents mécontents. Une histoire délirante qui s’inscrit dans la vague de psychoses autour de vrais clowns menaçants, qui a saisi plusieurs pays occidentaux à la fin des années 2010 et traitée avec un sérieux remarquable par Michael Beach Nichols.
Difficile d’en dire plus, puisque le film prend un tournant pour le moins surprenant en plein milieu de son récit. Et par la même, il touche du doigt ce qui dérange vraiment dans la mythologie et l’esthétique des clowns. Une plongée dans la culture horrifique et urbaine contemporaine qui mérite vraiment un visionnage, ne serait-ce que pour percer le terrible secret de ce bon vieux Wrinkles et de son masque hideux. Au fond, il s’agit peut-être du film ultime du genre, si on peut bien parler de genre.
Tim Curry a tout jamais dans la légende !
On attend maintenant un biopic sur John Wayne Gacy.