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Cannes 2025 : on a vu Exit 8, qui a compris comment (bien) adapter un jeu vidéo d’horreur

Par Antoine Desrues
19 mai 2025
© ARP

Ecran Large est de retour sur la Croisette pour le Festival de Cannes 2025. Et c’est l’heure de parler de Exit 8, l’adaptation d’un jeu vidéo d’horreur présenté en séance de minuit.

Petit jeu indé d’horreur psychologique, The Exit 8 a connu un succès inattendu, en grande partie grâce à ses surprises et ses jumpscares qui ont fait le sel de nombreux lives Twitch. On ne s’attendait pas forcément à une adaptation par le prestigieux studio japonais Toho, confiée au réalisateur Genki Kawamura (scénariste de L’Innocence de Kore-Eda et producteur de Mamoru Hosoda et Makoto Shinkai). Ce qui aurait pu n’être qu’un dérivé opportuniste a au contraire bien saisi la substantifique moelle de cette horreur si contemporaine. 

L’expérience de Châtelet, maintenant au cinéma

De quoi ça parle ? Un homme piégé dans un couloir de métro cherche la sortie numéro 8. Pour la trouver, il faut traquer les anomalies. S’il en voit une, il fait demi-tour. S’il n’en voit aucune, il continue. S’il se trompe, il est renvoyé à son point de départ. Parviendra-t-il à sortir de ce couloir sans fin ?

Et ça vaut quoi ? Exit 8 avait de quoi faire peur, et pas dans le bon sens. Si le jeu vidéo a su se faire remarquer, ce n’est pas seulement pour ses « anomalies » surprenantes et ses sursauts horrifiques, mais bien par son décor. Sans contexte, notre avatar se retrouvait coincé dans un couloir de métro infini, embarqué dans un jeu des sept différences à chaque boucle. 

The Exit 8 fait ainsi partie de ces œuvres qui ont utilisé à leur plein potentiel l’angoisse des espaces liminaux, ces lieux de transition dans lesquels personne n’est censé s’éterniser. En quelques années, la culture Internet a fait de ces endroits clos, souvent allongés et hors du temps, l’expression d’une nouvelle forme de malaise, dont les fameuses backrooms sont devenues le chef de file. On peut y voir plein de choses, du vertige existentiel induit par ces manufactures répétées et banales au sentiment d’abandon que suggèrent ces espaces réminiscents d’un capitalisme oppressant. 

Métro, métro, métro

Quoi qu’il en soit, ces purgatoires modernes sont une pure émanation d’une intertextualité typique du Net, à grands coups de photos cracras postées sur des forums en ant par des vidéos YouTube mystérieuses. En transformant un petit phénomène du jeu vidéo indé en film, il y avait le risque qu’Exit 8 soit un peu l’équivalent de la phase terminale d’un meme, au moment où il est réexploité – et donc tué – par ceux qui veulent capitaliser dessus. 

Par chance, ce n’est pas le cas, car Genki Kawamura a bien compris l’univers qu’il investit, et trouve un savant équilibre entre la déférence et la trahison essentielle de l’adaptation. Débutant sur un plan-séquence en vue subjective classieux, qui introduit le protagoniste tout en rappelant la forme de son médium originel, le film exploite cet effet de stylisation inaugural pour déployer le contexte qui manquait au jeu, et pour mieux le valdinguer lors d’un raccord savoureux. 

Exit 8
« Il est bizarre ce tunnel, il est pas palpable… »

Le réalisateur nous fait d’ailleurs bien comprendre que le décor reste bien évidemment la colonne vertébrale du projet, qu’il retranscrit avec beaucoup de minutie. Si ce n’est pour l’ajout de casiers dans un angle qui agrémentent les possibilités horrifiques, Kawamura tient à l’épure du jeu vidéo et de son level-design, dans lequel le personnage principal sans identité (Kazunari Ninomiya) projette ses peurs et ses doutes.

La bonne idée du scénario est de raccorder l’effroi des espaces liminaux à celle d’une vie elle-même dans un état de transition. En plus de convoquer par certaines anomalies des traumatismes évidents de la culture japonaise (une séquence spectaculaire d’inondation du tunnel par ce qu’on devine être un tsunami), Exit 8 évoque la peur de la parentalité dans un monde devenu de plus en plus fou.

Là encore, le film développe le potentiel symbolique de son espace, lieu de age entre le domicile et le travail qui s’inscrit parfaitement dans l’expression « métro, boulot, dodo ». Sans avoir besoin de le marteler, le récit enferme son protagoniste dans les griffes du libéralisme, machine tentaculaire et individualiste qui ne donne plus envie vraiment envie d’y élever un enfant.

Attention, nouvelle règle

Si l’illustration de cette donnée n’est pas toujours réussie et vrille un poil vers le mélo facile, Genki Kawamura se permet quelques pas de côté (dans le sens littéral et figuré) avec sa caméra, qui renouvellent plus d’une fois sa narration et les différentes manières d’aborder cette boucle permanente. C’est d’ailleurs dans son approche du gameplay qu’Exit 8 étonne le plus. Il édicte simplement ses règles comme son modèle, et tient à adapter le principe d’échec pour donner du poids à ses enjeux.

Le risque de la répétition pointe parfois le bout de son nez, mais le cinéaste retombe sur ses pattes en jonglant intelligemment avec les émotions que ressentirait un joueur (persévérance, frustration, désespoir, colère…). Sa caméra a beau être sortie de la vue subjective, Exit 8 fait tout pour que le spectateur puisse se projeter dans les avatars, coquilles vides et fantomatiques en quête de sens qui hantent cet espace liminal. Il a juste compris comment le faire avec son propre langage.

Ça sort quand ? Le 3 septembre 2025, grâce à ARP.

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cidjay
cidjay
il y a 18 jours

hé, ça a l’air pas mal ça ! j’aime bien les High Concept. je ne connais pas le jeu, mais je pense me faire le film.