Bong Joon-ho signe avec Mickey 17 son premier film américain. Retour sur la carrière flamboyante du roi de la Corée du Sud.
Qu’est-ce qui rend le cinéma sud-coréen aussi ionnant ? Sans doute l’histoire complexe et heurtée d’un pays qui a connu sa première élection au suffrage universel en 1987. Avec l’arrivée difficile de la démocratie, le territoire s’est aussi confronté à ses manquements, qu’ils soient sociaux, économiques ou technologiques.
Bong Joon-ho fait partie de ces artistes qui ont connu cette bascule pendant leurs années d’études. Souvent présent lors de manifestations (un motif récurrent de son cinéma), il se retrouve avec l’envie de représenter l’état de cette société déliquescente, alors que le public a surtout envie de se divertir, et d’oublier son quotidien peu radieux.
C’est là qu’entre en jeu ce qu’on appelle désormais la Nouvelle Vague coréenne, qui consiste à employer les codes du cinéma de genre (polar, action, SF, fantastique) à la manière d’un cheval de Troie, pour y dépeindre un monde sombre, désespéré et désenchanté. Avec ses ruptures de ton et son inventivité technique, Bong Joon-ho devient, aux côtés de Park Chan-wook, le chef de file d’un mouvement qui va prendre d’assaut le monde, jusqu’au succès impensable de Parasite.
À l’occasion de la sortie de son premier blockbuster américain, Mickey 17, posons-nous cette question simple : Bong Joon-ho a-t-il déjà fait un mauvais film ?
Barking Dogs Never Bite
- Sortie : 2000
- Durée : 1h50

Barking Dogs Never Bite est le premier film de Bong Joon-ho et probablement (sans doute ?) le plus mineur de sa carrière. Pourtant, difficile de ne pas constater que le cinéaste y développait d’ores et déjà ses sujets de prédilection au cœur d’un mélange des genres assez jubilatoire. Le film suit en effet l’histoire d’un universitaire qui commence à péter un câble à cause des aboiements des chiens du voisinage dans son immeuble.
Le point de départ d’une comédie grinçante, en quasi huis-clos au sein de la résidence, où les actions du professeur pour faire taire les chiens (il les kidnappe et les tue) vont mener une jeune femme (incarnée par une toute jeune Doona Bae) à enquêter sur leurs disparitions. S’en suit un film sombrement drôle, jonglant entre des situations burlesques (un chien muet, un concierge gourmand), des courses-poursuites haletantes dans les couloirs du bâtiment aux airs cartoonesques et une comédie noire tendance drame social.
Car comme il le fera dans le reste de sa filmographie, Bong Joon-ho ausculte avec sincérité la souf des individus (et notamment de la classe moyenne, voire pauvre) confrontés à une société sans pitié. Bref, une comédie noire pleinement politique, où le Coréen montre également déjà ses talents de réalisateur avec une mise en scène soignée et une caméra virevoltante.
Memories of Murder
- Sortie : 2003
- Durée : 2h12

Après l’échec critique de Barking Dog et grâce à une pièce de théâtre la mettant en scène, Bong Joon-Ho se ionne pour une terrible affaire : celle des meurtres de Hwaseong, qui n’a alors jamais été résolue. Le travail particulièrement minutieux du cinéaste paie enfin. Memories of Murder est le long-métrage qui l’érige en grand cinéaste, aussi bien au box-office qu’auprès de la critique, locale et occidentale. Et pour cause : il s’agit effectivement d’un grand film.
À l’époque, on l’a forcément comparé à la vague de thrillers morbides qui déferlait sur les écrans américains. Et bien entendu, l’influence de Seven, surtout au niveau de la photographie, est palpable. Mais le réalisateur creuse un tout autre sillon lorsqu’il pénètre, non sans un humour sardonique, dans la sale ambiance de la fin de la dictature. En ça, il est plutôt l’un des meilleurs ambassadeurs de cette nouvelle vague coréenne, dont les ruptures de ton parfois radicales représentent aussi cette période à la fois alourdie par le régime autoritaire et aspirant à plus de liberté.
À cet égard, le film est plutôt pessimiste : la maladresse du personnage de Song Kang-ho n’est qu’un rouage de plus dans un engrenage social qui broie à tour de bras, qui ne propose que la violence en guise de solution à tous les problèmes. L’incroyable séquence finale et ce regard caméra mémorable rappellent encore l’étude du mal que conduiront également Fincher et Villeneuve plus tard. Mais leur signification est plus terrifiante encore : empêtrés dans ce système cynique, les héros de l’histoire prennent conscience qu’ils ont sombré avec le monde qu’ils sont censés défendre. Quand tout est maléfique, le mal devient ordinaire. Et la finalité de l’enquête, connue en 2019, le prouvera d’autant plus.
The Host
- Sortie : 2006
- Durée : 1h59

The Host est sans aucun doute le film le plus horrifique d’un réalisateur qui a toujours penché vers ce genre. Dans cette histoire de gigantesque créature amphibie qui terrifie toute une ville, le réalisateur utilise le prisme du fantastique pour parler, comme souvent, d’écologie et de politique (en dénonçant notamment la présence militaire américaine en Corée du Sud), tout en gardant la famille au centre de son récit.
Une fois le film vu, impossible d’effacer de son esprit la séquence magistrale de l’apparition du monstre, que Bong Joon-ho filme d’abord en arrière-plan d’une scène anecdotique sur les bords d’un canal en pleine ville, avant que la musique angoissante et le mouvement de la caméra ne révèlent la nature de ce qui fonce sur la foule. S’ensuit une longue séquence de panique générale, au cours de laquelle le spectateur ire à la fois l’originalité et la férocité du monstre qui lui est présenté, tout en suivant le drame du personnage principal, incarné par Song Kang-ho, qui perd sa fille dans la tourmente.
Alliant à la perfection horreur à grande échelle et drame humain, le réalisateur façonne bon nombre de séquences aussi belles que tendues, comme celle durant laquelle les deux enfants essaient de s’échapper de l’antre du monstre, faisant du film l’un des piliers du cinéma fantastique des années 2000.
Mother
- Sortie : 2010
- Durée : 2h10

Loin des films de genre musclés qui ont révélé Bong Joon-ho, Mother l’emmène vers le terrain – a priori – plus balisé du mélodrame. Pourtant, s’il s’impose comme l’un de ses meilleurs films, dont la force insidieuse doit tout à la précision de sa mise en scène, c’est parce qu’il est au fond la continuation parfaite de ses films précédents.
Dans le parcours de cette mère Courage qui essaie d’innocenter son fils accusé de meurtre, il y a avant tout l’image d’une Corée corrompue et impuissante, celle que Memories of Murder dépeignait déjà dans toute sa détresse tragi-comique. Ici, Mother repose sur la douceur apparente de l’actrice Kim Hye-Ja, petit bout de femme qui affirme sa férocité et son amour indéfectible pour son enfant. C’est souvent bouleversant, encore plus lorsque Bong Joon-ho entame ces bascules dont il a le secret, captant sans juger son personnage les extrémités qu’elle est prête à atteindre.
Dans ce maelström de points de vue divergents et d’identités en quête de sens, le cinéaste nous laisse dans un sentiment de confusion. Qui croire ? À qui s’identifier ? C’est là que les surprises du récit font l’effet d’un coup de poing en plein ventre. Clairement, le diamant noir de la filmographie de Bong Joon-ho, et l’œuvre de la maturité.
Snowpiercer, le transperceneige
- Sortie : 2013
- Durée : 2h06

Depuis L’Entrée d’un train en gare de La Ciotat, le transport ferroviaire a reflété un progrès technique égal à celui du cinéma. En adaptant la BD de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette, Bong Joon-ho fait pourtant tout l’inverse. Dans un futur revenu à l’ère glaciaire, les derniers survivants de l’humanité évoluent dans un train aux airs de régression. Au-delà de faire le même tour du monde en boucle, le véhicule reproduit la lutte des classes dans ce microcosme où les wagons arrière sont occupés par les pauvres, et ceux de l’avant par les nantis.
La métaphore est amplement assumée par Bong Joon-ho, qui abandonne en cours de route le pragmatisme de son univers au profit d’une inventivité lourde de sens. Alors que chaque wagon dépeint son propre monde, Snowpiercer accumule les ruptures de ton avec une maîtrise rare. Il faut dire que cette dimension chaotique, façon tour de Babel post-apocalyptique, est en accord avec ce qui reste encore aujourd’hui l’un des plus gros budgets du cinéma sud-coréen.
Produit par Park Chan-wook, Snowpiercer est un vrai film international, soutenu par l’Europe, tourné à Prague et porté par un casting venu des quatre coins du monde. Chris Evans y trouve d’ailleurs son plus beau rôle, notamment lors d’un discours final où Bong Joon-ho déconstruit la figure héroïque qu’il nous avait présentée jusque-là. Plus de Captain America ici, mais bien un leader révolutionnaire embarqué malgré lui dans une histoire qui essaie de ne plus se répéter.
Là où Parasite traduira ce maintien immuable du capitalisme et des inégalités sociales par la verticalité de la ville, Snowpiercer choisit l’horizontalité du train pour poser les mêmes enjeux. Régulièrement filmé de profil à la manière d’un jeu vidéo en 2D, le long-métrage permet à Bong Joon-ho de visualiser les dilemmes moraux de ses personnages, contraints de choisir entre la progression vers la locomotive (la droite) et leur humanité (la gauche). Un miracle de film politique, malin, désespéré et spectaculaire.
Okja
- Sortie : 2017
- Durée : 1h58
En s’approchant de plus en plus de l’industrie américaine, Bong Joon-ho attire progressivement son public dans son piège. Diffusé sur Netflix, tourné en anglais et produit par Plan B, la boite de Brad Pitt, Brad Grey et Jennifer Aniston, Okja se pare des atours de la production américaine gentiment dénonciatrice de la société de consommation. Mais le cinéaste n’a pas du tout l’intention de s’en contenter, loin de là.
Le cochon trop mignon va finir en jambon, la petite fille trop mignonne est surtout bien naïve et le casting de prestige trop mignon qui défilera à Cannes (Jake Gyllenhaal, Tilda Swinton, Paul Dano) se ridiculise à tour de pellicule dans un joyeux bordel coloré. Et puis, scène étrange après scène étrange, le metteur en scène brouille les barrières morales habituelles du genre : activistes et industriels ne sont finalement qu’un gigantesque troupeau de bouffons bruyants.
Le seul relai spectactoriel devient très vite ce pauvre cochon, seul au milieu de ce gigantesque cirque, n’ayant même pas de contrôle sur son propre génome. Peu de films ont à ce point ajusté le curseur de l’empathie sur la condition animale, surtout dans un dernier acte qui traite sans pincette, sans langue de bois et sans fausse subtilité l’horreur des abattoirs.
Parasite
- Sortie : 2019
- Durée : 2h12

En 2019, il était impossible de er à côté du phénomène Parasite, lauréat de la Palme d’Or du Festival de Cannes et gagnant de quatre Oscars dont celle du meilleur film (une première pour un long-métrage non anglophone) et du meilleur réalisateur. Après Okja, Bong-Joon Ho revient au réalisme politique de The Mother, mais avec la hargne revancharde de son Snowpiercer, dont il troque le décor horizontal pour la verticalité. Il ne s’agit dorénavant plus d’avancer, mais de s’enfoncer.
Une métaphore en amenant une autre, c’est cette fois en transposant à échelle humaine le principe du coucou dans le nid que le réalisateur met de nouveau en scène la lutte des classes, tout en définissant avec un cynisme mordant chacune d’entre elles, quitte à embrasser la caricature pour renforcer le propos et les effets comiques (comme cette mère de famille déconnectée qui crie au génie à chaque gribouillis de son chiard inable).
Mais là encore, il n’est pas question d’assouvir la catharsis jusqu’au bout et de renverser le système. Le jeu de dupes, assez jubilatoire dans ses débuts, s’envenime fatalement et la situation que les « parasites » pensaient parfaitement maîtriser leur échappe, non sans créer de purs moments de tension, voire d’horreur. La farce méchante devient donc progressivement une fable sociale navrante dont le dénouement est un violent retour à la réalité.
Mickey 17
- Sortie : 2025
- Durée : 2h17

Après le quasi huis-clos Parasite et son intrigue très resserrée, violente et tragique, Bong Joon-ho avait sûrement besoin de se défouler un peu… et il a donc choisi l’espace. Le voir s’attaquer à un projet d’adaptation aussi ambitieux que Mickey 17, récit de science-fiction imposant tiré du livre Mickey 7 d’Edward Ashton, n’était pas forcément une évidence, mais assez logiquement, il correspond parfaitement à ce que le cinéaste a toujours aimé raconter.
Mickey Barnes, un homme criblé de dettes, a en effet décidé de devenir un remplaçable, soit un employé chargé de mourir encore et encore, pour la science, la recherche et l’argent… sans conséquences, puisque son corps sera régénéré encore et encore. Une main-d’œuvre parfaite pour le capitalisme le plus ordurier, comme une forme d’esclavagisme éternel où le rêve d’immortalité est devenu un cauchemar. Bong Joon-ho profite ainsi de cette dystopie pour raconter un futur terrifiant dont notre présent à la dérive (le vrai) pourrait bien devenir l’origine à l’avenir.

Bien sûr, pour son premier film vraiment hollywoodien (produit par Warner), le Coréen ne parvient pas à être aussi mordant et satirique que dans ses précédentes créations. Plus malheureux, son scénario est souvent confus, s’embarquant dans des sous-intrigues franchement inutiles, quelques choix narratifs déroutants et des destinées moins émouvantes (malgré les enjeux). Pour autant, il s’agit probablement d’un de ses films les plus audacieux et sans nul doute d’une œuvre somme.
Entre son burlesque à la Barking Dogs, son amour des freaks comme dans The Host, son confinement collectif attisant une simili-rébellion comme dans Snowpiercer, la corruption systémique de ses leaders comme dans Memories of Murder, son anti-spécisme et anti-consumérisme comme Okja, l’amour indéfectible de certains personnages comme Mother ou encore sa lutte des classes comme dans Parasite, ce Mickey 17 se questionne sur l’humain et l’humanité avec ion, sincérité et virtuosité. Du Bong Joon-ho tout craché donc.
THE HOST ☆☆☆☆
Mon Top des film de Bong Joon-ho.
MICKEY 17 ☆☆☆☆☆
Memories of Murder ☆☆☆☆
Parasite ☆☆☆
Memories of Murder est un chef d’oeuvre sans autre forme de procès, en mon humble avis. Tous les autres films peuvent être discutés. Personnellement je n’ai pas aimé Parasites que j’ai trouvé ultra caricatural et trop bourgeois. Mickey 17 rien que la vue de la bande annonce me donne envie de fuir. SnowPiercer est sympathique mais vieillit très mal.
Donc à votre question largement OUI, triple OUI
Oui Micket 17
Clairement non.
Après j’aime beaucoup moins ses films à casting (et budget ?) américain.
Ses 3 films qui m’ont le moins marqués sont Mickey 17, Snowpiercer et Okja qui sont des films sympas sans plus.
Alors qu’à côté il a fait des chef d’oeuvre avec Parasite, The host, Mother et Memories of murder.