Films

Pirates des Caraïbes 3 : pourquoi ça reste l’une des BO les plus importantes de Hans Zimmer

Par Antoine Desrues
29 février 2024
MAJ : 3 mars 2024
Pirates des Caraïbes : Jusqu'au bout du monde : BO Zimmer

La saga Jusqu'au bout du monde, est encore plus spéciale.

Dans la discographie très large d’Hans Zimmer, ses compositions pour Pirates des Caraïbes sont sans doute parmi ses plus cultes et identifiées. Pourtant, on oublie bien souvent que La Malédiction du Black Pearl a “techniquement” crédité au générique Klaus Badelt. Petit retour en arrière. Au début des années 2000, le musicien allemand a déjà fondé depuis plus de 10 ans sa fameuse société de production Media Ventures (plus tard renommée Remote Control Production), ce qui lui vaut d’être réclamé par tout Hollywood.

Engagé sur Le Dernier Samouraï d’Edward Zwick, Zimmer accepte de ne pas travailler sur d’autres projets en parallèle pendant la conception de la bande originale. C’est pourquoi il propose l’un de ses poulains (Badelt donc) sur Pirates des Caraïbes, de son ami Gore Verbinski. Mais face aux désidératas très abstraits de Jerry Bruckheimer, l’apprenti galère, et Zimmer, selon une légende qui l’arrange bien, aurait composé le thème principal du premier film (He’s a Pirate) en une nuit.

La réalité, c’est surtout que Pirates des Caraïbes a synthétisé le système Media Ventures, où l’apparition d’une musique orchestrale gérée majoritairement par samples a permis de repenser la méthodologie de composition de l’industrie. Accordé aux tâtonnements des réalisateurs et à leurs caprices, Zimmer a su s’entourer d’une écurie d’artistes pour l’épauler dans un esprit collectif... quitte à interroger sur la paternité finale de l’œuvre.

  • À écouter : notre podcast sur Hans Zimmer

 

 

... dans le même bateau

Quoi qu’il en soit, le petit miracle du premier Pirates des Caraïbes n’est pas à minimiser, tant sa partition a été écrite dans la douleur et la précipitation ; des termes qui s’accordent très bien à la production complexe des deux opus suivants, lancés par Disney pour être créés en back-to-back avec un timing infernal.

Néanmoins, Hans Zimmer (qui a donc repris en main la saga côté musique) est plutôt sorti gagnant de l’expérience, Verbinski ayant eu besoin très tôt de morceaux pour tester ses scènes et son montage. Le processus de Remote Control Production (ou R) a permis de ne pas faire du maestro la cinquième roue du carrosse, au point où il a pu s’am à étendre sa collection de samples orchestraux, mais aussi à planifier de véritables enregistrements de pistes avec un orchestre symphonique.

Ses partitions pour Pirates des Caraïbes 2 et 3 sont peut-être à ce titre les dernières grandes BO “classiques” (dans leurs inspirations du moins) du compositeur, avant qu’il ne se lance pleinement dans une phase plus expérimentale et électronique, symbolisée au mieux par ses collaborations répétées avec Christopher Nolan. Et si on choisit aujourd’hui de se concentrer sur Jusqu’au bout du monde, c’est parce que Zimmer y a poussé la richesse thématique de la franchise à son paroxysme, en plus d’atteindre un état d’osmose imbattable avec les images de Verbinski.

 

Pirates des Caraïbes : Jusqu'au bout du monde : photo, Johnny Depp, Geoffrey RushUne image qui définit bien l'ambition de Disney

 

De cuivres et d'épée

Beaucoup ont, à juste titre, retenu de Pirates des Caraïbes son thème principal pétaradant, celui de Jack Sparrow et sa base de violoncelle dansant ou encore celui de Davy Jones, obtenu par cette inquiétante boîte à musique. Fort de ces fondations solides, Hans Zimmer a ajouté une donnée plus holistique dans la BO du troisième volet. Il faut dire que le film a parfois été critiqué pour sa narration foutraque, son grand nombre de personnages et ses retournements de situation permanents, amplifiés par l’étendue de la mythologie pirate.

Pourtant, le compositeur a rassemblé toute cette énergie dans un nouveau thème, souvent réduit (à tort) comme étant le “Love theme” de Will et Elizabeth. Si sa dimension romantique est souvent utilisée pour les deux personnages, Zimmer a surtout cherché à rendre hommage à un certain esprit du cinéma d’aventures à l’ancienne, et donc à encapsuler tout l’esprit de cette ultime bravade pirate aux confins du monde et de la mort. Chose rare pour le musicien allemand, auquel on reproche son approche minimaliste des thèmes, celui-ci est composé de trois leitmotivs différents (sections A, B et C), répartis au travers du long-métrage avant de se regrouper au fur et à mesure de l’album.

 

 

 

En cela, le morceau At Wit’s End est fondamental, puisqu’il présente les pièces A et B de ce puzzle dans une révélation épique, d’abord avec des cors discrets (section A, à partir de 1:30), puis dans une poussée lyrique où les violons et les cuivres se répondent sur deux phrases musicales complémentaires (section B, à partir de 3:10). La section C intervient quant à elle plus tard, d’abord par petites touches (à la fin de I See Dead People in Boats) avant de symboliser l’amour à la fois ionnel et tragique de Will et Elizabeth lors de leur mariage improvisé (I Don't Think Now Is the Best Time, à partir de 9:00).

Non seulement cet ensemble se recompose dans son entièreté au sein des derniers morceaux (One Day, et surtout la partie finale du générique, Drink Up Me Hearties Yo Ho), mais ses harmonies sont également pensées pour s’adapter à la plupart des thèmes majeurs de la saga. Zimmer entremêle tout ce beau monde dans une fuite en avant perpétuelle, ant d’un leitmotiv à l’autre comme s’il n’y avait plus de lendemain.

 

 

 

Au-delà de donner un aspect conclusif à sa partition, le compositeur s’est rarement montré autant en phase avec la mise en scène d’un cinéaste. On sent d’ailleurs une évolution enthousiasmante entre son travail et celui de Verbinski, dont le savoir-faire technique n’est plus à prouver.

Accroché à l’inspiration de l’attraction originelle de Disneyland, le réalisateur a fait de Pirates des Caraïbes un pur objet de cinégénie, où l’épique ampoulé et le burlesque se croisent et se coordonnent au cœur d’un montage d’une rare minutie. La gestuelle et les mimiques maniérées de Johnny Depp synthétisent à elles seules cette démarche, qui a fini par donner un tempo particulier à la franchise.

 

 

 

L'âme des pirates jamais ne mourra

Zimmer l’a bien saisi, et la dimension ludique de sa BO pour Jusqu’au bout du monde dépend en grande partie de sa faculté à accorder sa rythmique aux coupes du montage, aux mouvements de caméra extravagants de Verbinski ou même aux bruits des épées qui s’entrechoquent. Après tout, le long-métrage s’ouvre sur le développement d’un thème résistant sous la forme d’une chanson (Hoist the Colours) où les chaînes des prisonniers servent de percussions dans la diégèse et en dehors. Le film devient alors ce ballet aventureux rondement mené, qui trouve sans doute son apothéose avec Up is Down, l’un des meilleurs morceaux d’action de la discographie zimmerienne.

Pour rappel, il s’agit de la séquence d’évasion de l’Antre de Davy Jones. Jack comprend que le Black Pearl doit être retourné sur lui-même, ce qu’il provoque en amenant l’équipage à courir d’un bout à l’autre du pont à répétition. La base de violon aux inspirations celtiques tangue en même temps que les personnages, tandis que les sections A et B du thème principal s’ajoutent petit à petit. Sans perdre de vue le grandiose de la scène, le choix d’une écriture en 12/8 (soit douze croches par mesure) semble avant tout s’adapter à la rapidité d’esprit de Sparrow et à son excentricité, du moins jusqu’à ce que le reste de l’orchestre et les basses ne s’accordent au métronome quasi littéral que représente le bateau.

 

 

 

L’air de rien, ce morceau reflète à lui seul la fin d’une époque pour le compositeur. À force de se reposer sur ses samples orchestraux, la musique de Zimmer a acquis une forme volontairement artificielle, oserait-on dire empesée par ses nappes uniformes d’instruments traduits par des synthétiseurs. Avec Jusqu’au bout du monde, il réveille un plaisir de l’acoustique par la présence de solistes et d’instruments plus inattendus (l’accordéon). La “fabrique R” et son solfège bourrin restent bien sûr présents (notamment dans What Shall We Die For, aussi simpliste que jouissif), mais les sonorités se mêlent de la même manière que le film de Verbinski mixe avec ferveur effets spéciaux pratiques et VFX révolutionnaires.

Et surtout, ces moments plus adoucis, où chaque élément de l'orchestre a l’occasion d’exister, portent en eux une ambiance spécifique. Quand ce ne sont pas les instruments asiatiques comme le ehru (Singapore), Zimmer s’amuse à rendre hommage à Ennio Morricone au travers d’une guitare électrique saturée (Parlay). Le résultat est parfois un peu fourre-tout, mais déborde d’envies et de vie par rapport à certains travaux futurs du musicien.

 

 

 

C’est même ce qui rend sa partition pour Pirates des Caraïbes 3 aussi géniale. Les cordes sont plus plaintives, les voix plus spectrales, et l’orientation de la bande originale assume une direction plus funèbre, mélancolique et macabre. Lorsque Jack et Barbossa observent le cadavre du Kraken, ils savent que le monde de la piraterie, avec tous ses mythes, touche à sa fin. D’une manière plus inconsciente, Gore Verbinski a signé l’un des derniers grands films d’aventure d’Hollywood, avant la suprématie du cinéma de super-héros. Jusqu’au bout au monde a quelque chose de triste et terminal, et c’est aussi ça qui définit la musique d’Hans Zimmer.

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Pas d'idée de pseudo
Pas d'idée de pseudo
il y a 1 année

La meilleure BO pour le meilleur film!

Pseudo1
Pseudo1
il y a 1 année

Perso, je trouve que c’est vraiment la meilleure BO des 3.
Elle reprend non seulement les thèmes bien entêtants des 2 premiers, mais y ajoute le brin de folie qui manquait.
Sérieux, cette musique de western sur la plage ou celle de la boite à musique, c’est du bonheur pour les oreilles !

rientintinchti2
rientintinchti2
il y a 1 année

Je reconnais que les BO de ces films est belle mais il n’y a que ça à sauver avec les effets spéciaux qui sont incroyables (le capitaine à tête de pieuvre par exemple. C ‘est magnifique en termes de concept et de création artistique. Les décors sont superbes. Mais les singeries exagérées de Jack Sparrow, le ton du film sont une catastrophe.

JJLH
JJLH
il y a 1 année

Hans Zimmer n’est pas vraiment le seul compositeur dans l’industrie à utiliser le système de compositeur additionnel. Des compositeurs majeurs hors MV/R ont eux même leur propre équipe de compositeur additionnel.
– Michael Giacchino (avec son fils Mick Giacchino, Nami Melumad (crédité sur Thor 4) ou Curtis Green qui sont crédités sur The Batman par exemple)
– Marco Beltrami (Brandon Roberts, Marcus Trumpp et Buck Sanders)
– Danny Elfman (Chris Bacon ou TJ Lindgren)
-John Powell ou Harry Gregson-Williams (évidemment vu qu’ils sont issus de Media Ventures)
– Ou encore plus Récemment Bear McCreary qui gère une équipe de compositeur qui sur plusieurs projets sont crédités sous le nom de Sparks and Shadows

Aujourd’hui les compositeurs qui travaillent seuls à Hollywood c’est rare. Et ce n’est pas vraiment la faute de Hans Zimmer (c’est juste qu’il a été plus transparent que d’autres sur sa méthode de travail).

JJLH
JJLH
il y a 1 année

Si vous regardez les compositeurs additionnels qui se sont retrouvé sur la saga Pirates des Caraïbes, bon nombres d’entre eux sont très bien installés dans le métier.

Sur le premier opus il y avait
– Steve Jablonsky (la saga transformers de Michael Bay)
– Ramin Djawadi (Game of Thrones, Westworld, The Eternals)
– Geoff Zanelli (qui sera présent sur tous les opus de la saga jusqu’à être le compositeur principal sur La Vangeance de Salazar)
– Blake Neely (les séries Super Héroïques de l’Arrowverse)

Sur le deuxième
– Lorne Balfe (qu’on ne présente plus vu qu’il est partout en ce moment et également présent sur Jusqu’au bout du Monde)
– Henry Jackman (Kingsman, Captain America 2 et 3, X-Men First Class, également présent sur Jusqu’au bout du Monde)
-Trevor Morris (Viking, les Tudors)

Sur le Troisième opus
– Atli Örvarsson (la série Silo sur Apple Tv)

Sur le quatrième opus
– Guillaume Roussel (les Trois mousquetaires D’Artagnan et Milady)
-Matthew Margeson (Kingsman)

Sinon comme autre BO majeur de Hans Zimmer, il y a Da Vinci Code. Le film est ce qu’il est, mais ça reste comme étant une des meilleurs de Hans Zimmer

pith
pith
il y a 1 année

Bravo Antoine pour cet excellent papier. C’est aussi un de mes scores préférés de Zimmer, bien que je me tape complètement du film. C’est très thématique et superbement construit.