Plus qu’un grand spectacle régressif, Roland Emmerich est une fable écologique ionnante sur l’urgence climatique.
Il fut un temps où la simple présence de Roland Emmerich à la réalisation d’un blockbuster hollywoodien suffisait à garantir une expérience généreuse et spectaculaire. Ce spécialiste des séquences de destruction brillait par son savoir-faire et sa gestion du chaos à l’écran. Cette identité très marquée lui a cependant souvent causé du tort. Dans l’imaginaire collectif, Emmerich devenait synonyme de spectacle régressif plutôt crétin.
Avec Le jour d’après, sorti en 2004, le cinéaste prouve pourtant qu’il est capable de mêler divertissement explosif et propos réfléchi. Derrière la destruction en bonne et due forme de toute une moitié de la planète, son long-métrage devient avant tout un des premiers blockbusters hollywoodiens à aborder aussi frontalement la question de l’urgence climatique. Dix-sept ans avant Don’t Look Up, Roland Emmerich annonçait déjà la fin de notre monde.
MAUVAIS GENRE
Le film catastrophe a été un genre majeur dans le paysage hollywoodien des années 90. De Deep Impact à Armageddon en ant par Le Pic de Dante, les blockbusters rivalisaient d’inventivité pour mettre en scène des héros vaillants face à des destructions massives. À l’aube des années 2000, il semble cependant que le genre s’essouffle rapidement et n’a plus grand-chose à proposer. C’est sans compter sur Roland Emmerich.
Avec Le jour d’après, le réalisateur à qui l’on doit déjà Independence Day et Godzilla va renouveler et actualiser les thématiques du film catastrophe. Plutôt que de raconter une énième fois une histoire de catastrophe naturelle, d’invasion ou de virus, Emmerich va ancrer tout son récit autour des enjeux climatiques. Le concept est simple : imaginer les effets dévastateurs du réchauffement climatique s’ils étaient tous condensés en quelques jours.
Bien évidemment, le cinéaste n’oublie jamais que l’enjeu principal d’un film catastrophe efficace est l’ampleur du spectacle. Il nous offre ainsi un divertissement imposant et spectaculaire. L’originalité du concept permet par ailleurs au long-métrage d’offrir au spectateur des visions qu’il n’a jamais pu voir ailleurs. Entre l’immense paquebot qui navigue au milieu de New-York ou encore l’image culte de la statue de la Liberté sous la neige, Le jour d’après crée des images iconiques.
La mise en scène intelligente de Roland Emmerich ne fait qu’ajouter au plaisir de l’expérience. Le tout servi par un rythme superbement maîtrisé. Et c’est là que l’auteur vise particulièrement juste. Il ne sacrifie jamais le plaisir du pur cinéma populaire sous prétexte que son message prime sur la forme. Ce tour de force lui permet de signer un film catastrophe éco-anxieux étonnamment grisant.
ICEBERG DROIT DEVANT
Ayant pour ambition de rendre son message le plus accessible possible aux spectateurs, Le jour d’après va se construire autour d’un propos limpide et patiemment détaillé. Ainsi, dès l’ouverture du film, on suit une conférence scientifique donnée par le personnage qu’incarne Dennis Quaid. Il explique par exemple le paradoxe qui confronte réchauffement climatique et possible baisse des températures ainsi que les différents enjeux des régions qui seront touchées en priorité.
Grâce à ce travail de vulgarisation par la fiction, le long-métrage parvient à sensibiliser un public qui était largement moins exposé à ces questions en 2004 que nous ne le sommes aujourd’hui. Deux ans avant le documentaire choc Une vérité qui dérange de Davis Guggenheim, Emmerich livrait déjà une œuvre visant à alerter et éveiller les consciences.
Mais le choix ionnant que fait Le jour d’après est certainement de situer son récit dans un monde qui a déjà perdu. Le spectateur est alors confronté à une idée vertigineuse : il est déjà trop tard. Parti-pris extrêmement rare pour un film de ce genre, les héros sont condamnés à rester ifs. Ils tentent désespérément de survivre mais doivent avant tout se contenter d’attendre et d’observer alors que le climat se dérègle à une vitesse incontrôlable.
Cette impuissance de l’héroïsme se traduit également par une impuissance de la culture et de l’intelligence humaine face à une nature impitoyable. Enfermés dans une immense bibliothèque, Sam et ses amis n’ont d’autre choix que de brûler des centaines de livres pour survivre. Le message que nous adresse le cinéaste est alors on ne peut plus évident. Le patrimoine culturel et intellectuel de l’humanité ne servira plus à rien lorsque cette même humanité aura causé sa propre perte.
Roland Emmerich va évidemment éviter de tomber dans la négativité totale et offre un final censé apporter une touche d’espoir en l’avenir. Mais le discours de conclusion du président américain est avant tout pensé comme un électrochoc, une vision cauchemardesque d’un futur probable visant à créer une réaction forte chez le spectateur.
Le long-métrage évite ainsi de verser dans le happy end indécent qui est souvent inhérent au genre du film catastrophe. Chez le même cinéaste, impossible de ne pas évoquer 2012 qui sort les grands violons pour tenter de nous faire oublier la mort de milliards d’être humains. Dans Le Jour d’après, les survivants ont la conscience lourde. On peut aisément y voir une œuvre en avance sur son temps et particulièrement lucide.
JUSTE LA FIN DU MONDE
Environ vingt ans plus tard, ce qui rend Le jour d’après si actuel et pertinent est certainement le cynisme quasi prophétique dont il fait preuve. Bien avant la farce apocalyptique Don’t Look Up, Roland Emmerich tournait déjà en ridicule le cirque médiatique qui entourerait la fin du monde. Impossible de ne pas songer à la façon dont le cinéaste met en scène la couverture des chaînes d’infos en continu. À l’exemple de cette séquence lors de laquelle des journalistes sont horrifiés par la disparition du panneau Hollywood et en oublient la réelle catastrophe.
Mais le réalisateur n’oublie pas non plus de mettre en scène des ants absolument déconnectés des dangers, trop occupés à filmer le spectacle. Des images qui semblent presque annoncer l’avènement des réseaux sociaux avant l’heure. C’est plus globalement notre rapport absurde et désincarné aux images choquantes que semble questionner Emmerich.
Le film critique ouvertement l’inaction politique face aux enjeux climatiques. Une inaction politique justifiée par un scepticisme ouvertement assumé. Le premier ministre rappellera ainsi avec mépris à Jack Hall qu’il doit laisser la politique à ceux qui sont en charge et rester dans son domaine de compétences scientifiques. Mais l’inaction est avant tout motivée par la peur de voir le système économique être déstabilisé.
Au fil du récit, une opposition se fait progressivement entre le savoir précieux des personnes compétentes et la sagesse populaire de ceux qui veulent décider. Dirigé par un policier, tout un groupe de rescapés quitte la bibliothèque alors même que Sam a des arguments scientifiques précis justifiant qu’il faut absolument rester à l’intérieur. Cette dichotomie rappelle là encore la façon avec laquelle Don’t Look Up riait des fausses certitudes et autres désinformations.
S’il ne vise jamais à être une pure comédie noire comme l’assume Don’t Look Up, on peut tout de même voir dans Le jour d’après un goût de l’ironie et du rire triste. L’ironie absolue étant sans aucun doute l’idée finale d’un occident qui migre en masse vers les pays du tiers monde pour avoir une chance de survie. Difficile de faire un symbole plus fort dans l’inversion des pouvoirs politiques du monde actuel.
Au final, avec Le jour d’après Roland Emmerich nous offrait un film catastrophe absolument réjouissant. Un spectacle bien plus malin qu’il n’y paraît. Le film annonçait toute une vague à venir de blockbusters conscients de l’urgence climatique. Et même s’il peut parfois se montrer d’une naïveté caractéristique de son époque, le film annonçait déjà le cynisme et la résignation dont ferait preuve le cinéma éco-anxieux moderne face à la catastrophe imminente.
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Revu il y a quelques jours suite à cet article, et effectivement c’est un bon film, je l’avais complétement oublié… merci !
Merci pour cette réhabilitation. Oui, le Jour d’Après aun vrai message. Même si, pour les besoins du film catastrophe, la forme n’est scientifiquement pas correcte, le fond apporte un vrai message.
Rassurez moi, quand vous parlez de votez ecolo, vous ne parlez pas de ceux dont il ne faut pas prononcer le nom et qui sont tout sauf ecolo ?
J’ai vu 2 fois vraiment pas mal dans la veine de Ice Tempête de glace aux USA (1998) et Apocalypse of Ice (2020) à quelques nuances près : dans ice (1998) on ne parlait pas de réchauffement climatique mais de refroidisement c’est-à-dire d’une nouvelle ère glaciaire où seul l’australie est vivable. Dans le jour d’après et apocalypse of ice on se base sur l’idée du réchauffement climatique qui caait une nouvelle ère glaciaire de manière soudaine.
Tout ça pour dire qu’entre 1998 et 2004 le discours scientifique change sur ce sujet.
Emmerich a vraiment fait de bons films reste un regret pas de suite à stargate film la trilogie qui comptait faire en 2014. Vraiment dommage quand on sait le potentiel que laisser entrevoir le premier film. Il a eu tord de faire independance day 2. Fallait faire stargate à la place
P.-S : inutile de me parler de stargate sg 1
Très très bon Emmerich, le plus malin dans son discours politique. Merci beaucoup pour l’article !
Content de voir que cette pépite transgressive (le destin du président ricain qui n’a pas signé les accord de Kyoto, les réfugiés climatiques traversant le rio grande et accueillis bras ouvert par les mexicains,…) ai finie par être reconnu comme ce qu’elle est, à savoir un blockbuster très efficace, avec un casting au top et un vrai message.
Effectivement le meilleur Emmerich
@DL, en ce qui me concerne je rajouterai Stargate. C’est les 2 meilleurs Emmerich.
Le meilleur film d’Emmerich, et le meilleur film catastrophe tout court (et d’un point de vu subjectif, je possède un attachement particulier pour « Le Pic de Dante » et « Twister » ^^).