Films

L’Amour extra large : la preuve que la comédie beauf, c’est bien

Par Geoffrey Fouillet
25 mai 2023
MAJ : 24 mai 2024
L'Amour extra large : photo, Gwyneth Paltrow, Jack Black

Dans Jack Black.

Avant l'avènement de la bande à Judd Apatow au début des années 2000, la comédie potache américaine était la chasse gardée des frères Bobby et Peter Farrelly. Connus pour leur humour velu, ils ont roulé sur la concurrence avec la légèreté d'un bulldozer, surtout après avoir enchaîné quasiment coup sur coup Dumb and Dumber, Mary à tout prix et Fous d'Irène. Trois coups de génie qui ont fait trembler le box-office et propulsé définitivement leurs comédiens vedettes, en l'occurrence les géniaux Jim Carrey et Ben Stiller.

Le flair des frangins fait encore merveille lorsqu'ils choisissent Jack Black, encore méconnu à l'époque, dans le rôle principal de leur nouveau long-métrage L'Amour extra large. Au moins aussi rentable que les précédents opus du duo, cette romcom, également portée par Gwyneth Paltrow, est loin de susciter le même engouement critique à sa sortie. Pour enfoncer le clou, le film est jugé problématique, voire offensant à plusieurs égards. Un procès d'intention qui mérite franchement d'être nuancé tant les cinéastes continuent de témoigner un amour XXL à leurs personnages.

 

L'Amour extra large : photo, Gwyneth Paltrow, Jack BlackLa recette du bonheur : un milkshake saveur choco !

 

RÉÉDUQUE-MOI SI TU PEUX

"Je veux que tu te trouves un canon de beauté (…), c'est comme ça que tu t'attireras les bonnes grâces du Seigneur, c'est écrit". Voilà les dernières paroles que Hal (Jack Black) garde de son père. Un commandement précieux qu'il a choisi d'honorer en jetant uniquement son dévolu sur des femmes au physique de mannequin. Mais après avoir été hypnotisé par un célèbre gourou, Hal ne voit plus que la beauté intérieure chez les autres au point où les personnes authentiquement aimables qu'il croise lui semblent en tous points magnifiques. Quand il rencontre Rosemary (Gwyneth Paltrow), il tombe immédiatement sous son charme, sans se rendre compte qu'elle souffre d'obésité.

Oui, pas facile de faire rire avec un sujet aussi sensible, et encore moins aujourd'hui où la question du "male gaze", autrement dit le regard que portent les hommes sur les femmes, fait rage au cœur des débats féministes. Seulement voilà, L'Amour extra large assume cette vision rétrograde de la femme en l'envisageant comme le symptôme d'un héritage patriarcal moribond. Le prologue est très clair à ce niveau-là : un père endoctrine son fils pour le convertir à son idéologie, et malgré le respect quasi religieux qu'il lui inspire, son langage n'a rien de très catholique.

 

L'Amour extra large : photo, Jack BlackHal le frivole ne se ménage jamais sur le dancefloor

 

Que Hal se retrouve coincé entre deux maîtres à penser (son père donc et ce gourou aux idées progressistes) permet au film de jouer sur une ironie dramatique ionnante, faisant à la fois du héros le garant du quiproquo et le dindon de la farce. Tout le dispositif de mise en scène repose sur cette dissociation des points de vue, avec d'un côté Hal et sa subjectivité "altérée" et de l'autre, le regard "objectif" de son entourage. À ce titre, il y a un vrai plaisir de spectateur à essayer de deviner ce qui relève du fantasme et de la réalité, et si l'on pense pouvoir distinguer facilement les deux, les frères Farrelly nous donnent tort sans que l'on s'y attende.

Quand une infirmière d'un certain âge et au physique ingrat se révèle être une jeune femme certes jolie, mais cupide, on comprend que Hal perçoit tout aussi bien la laideur intérieure. Le spectre de personnages potentiellement "défigurés" par le héros ne cesse alors de s'élargir et empêche de réduire le discours à une cause plutôt qu'une autre, tout le monde étant susceptible d'apparaître sous un jour favorable ou non à l'écran. De cette double perspective, les cinéastes trouvent le moyen de raconter le conditionnement de leur protagoniste avec plus de subtilité et de sensibilité que prévu.

 

L'Amour extra large : photo, Jack Black"Hé, c'est la nouvelle collection super-élastique de Victoria's Secret ? J'adore !"

 

ÇA CARTOON 

Un peu vite cantonné aux délires scato-régressifs, le cinéma des frères Farrelly est aussi parcouru d'une veine plus fantaisiste, et L'Amour extra large la creuse peut-être encore davantage que les précédents films du duo. La love-story entre Hal et Rosemary rappelle justement combien l'amour est aveugle, et jamais on ne rit aux dépens des deux personnages. Au contraire même, toute la première partie consacrée à leur idylle est une invitation à partager leur bulle de bonheur, et ce en dépit de toute logique ou vraisemblance dans leur manière de réagir face à telle ou telle situation.

Voir Hal pagayer dans le vide, et ne pas s'en s'étonner outre mesure, alors que Rosemary fait dangereusement pencher en avant leur canoë, a de quoi mettre à rude épreuve notre suspension d'incrédulité. Idem lorsque la dulcinée du héros plonge dans une piscine et envoie valser un enfant qui nageait tranquillement en haut d'un arbre, là encore, sans créer de sidération particulière parmi les témoins de la scène. Oui, voici le monde ubuesque de nos deux tourtereaux, et après tout, on s'y amuse autant qu'eux, tant l'inventivité visuelle déployée par les frangins est, elle, bien réelle.

 

L'Amour extra large : photo, Gwyneth Paltrow, Jack BlackNon, vraiment, il n'y a rien de choquant !

 

C'est aussi l'esprit "slapstick" qui s'impose très rapidement. Vous savez, ce type d'humour basé sur le langage corporel, à coups d'arabesques improbables, de chutes grotesques et autres joyeusetés. Charlie Chaplin et Buster Keaton en étaient sans doute les précurseurs aux côtés de leurs concurrents animés, les Looney Tunes (Bugs Bunny, Titi et Grominet, Bip Bip et Vil Coyote...), ambassadeurs du cartoon qui ont fait rire aux éclats des générations de bambins. Et si les frères Farrelly mettent la pédale douce ici par rapport à Fous d'Irène, ils ne peuvent s'empêcher de jouer avec une énergie purement cinétique.

Cela pourrait sembler puéril, surtout lorsque Rosemary casse systématiquement les chaises ou les fauteuils sur lesquels elle s'assoit, mais il y a au fond une vraie ingénuité à l'oeuvre, qui alimente l'empathie et l'attachement aux personnages, et elle n'est certainement pas due au hasard. L'élément perturbateur de l'intrigue, à savoir le gourou et ses dons d'hypnose, tient sur un effet magique et donc naïf, Hal agissant comme sous l'effet d'un philtre d'amour. Autrement dit, tant que la magie dure, le rêve est toujours possible, et vous en conviendrez sûrement, il est difficile de ne pas s'identifier à ce besoin d'évasion.

 

L'Amour extra large : photo, Jack Black, Tony RobbinsElevator therapy

 

POUR L'AMOUR DES FREAKS

« On a toujours été vivement critiqués (…) Avec ce film, je suis sûr que beaucoup de gens disent : "Maintenant, ils s'en prennent aux obèses". Non, ce n'est pas le cas. C'est même tout le contraire. On adore nos personnages. Ils ont leurs défauts, mais ils ont beaucoup d'humanité en eux. Énormément de spectateurs sont mal à l'aise avec l'idée qu'il y ait des personnes handicapées représentées au cinéma (…) alors qu'elles sont juste normales. Pourquoi elles ne pourraient pas avoir leur histoire ? », déclarait Bobby Farrelly lors d'une interview donnée en 2001 pour le magazine Creative Screenwriting.

Depuis leurs débuts, les frangins ont une tendresse particulière pour ces héros inadaptés, à la marge. En ce sens, ils naviguent dans les mêmes eaux que les frères Coen, la vibe criminelle en moins. Avec L'Amour extra large, ils nous offrent une fois de plus une galerie de personnages hauts en couleur. Citons à titre d'exemples le meilleur ami de Hal, doté d'une excroissance qui frétille en bas du dos comme la queue d'un chien (non, on n'invente rien), ou le collègue bénévole de Rosemary, marchant sur ses mains à cause d'une malformation de la colonne vertébrale.

 

L'Amour extra large : photo, Jack Black, Gwyneth PaltrowOn aimerait tant que quelqu'un nous regarde comme Hal regarde Rosemary

 

Oui, les profils atypiques ne manquent pas, mais c'est bien Rosemary qui accapare la lumière et l'attention des réalisateurs. De tous les enjeux techniques posés par le film, celui de transformer la frêle Gwyneth Paltrow en femme obèse était probablement le plus difficile et contraignant. Comme Eddie Murphy dans Le Professeur Foldingue, l'actrice a dû enfiler un fat suit, c'est-à-dire un costume rembourré, afin d'opérer sa métamorphose. Et malgré des premiers essais jugés peu concluants, les prothèses et le maquillage empêchant au départ de reconnaître la comédienne, le résultat final est plutôt probant (n'en déplaise aux mauvaises langues).

Qu'importe son poids à l'écran, on ne perd jamais de vue Gwyneth Paltrow, son regard, son sourire, et c'est tout à l'honneur des frères Farrelly que d'avoir grossi le trait sans le dénaturer. Préserver l'humanité de leurs personnages par-delà l'excentricité ou le travestissement de leurs interprètes, voilà ce vers quoi le duo tend sans relâche. Et si la conclusion du film le fait hélas rentrer un peu trop dans les clous du politiquement correct, on salue bien bas le pittoresque de l'entreprise comme l'abattage de Jack Black, en très grande forme.

 

L'Amour extra large : photo, Jack BlackAvoir la comédie dans le sang, c'est possible ? Pour Jack Black, oui !

 

Si l'approche choisie par les frères Farrelly a pu être jugée offensante rétrospectivement, même aux yeux de Gwyneth Paltrow, qui avouera avoir mal vécu sa participation au projet, L'Amour extra large se sort pourtant de la plupart des pièges que son sujet lui tendait. En abordant notamment les rapports hommes-femmes à travers le prisme des apparences, le film vise fort et juste. Surtout, il acte une dimension plus émotionnelle dans le cinéma des frères Farrelly, sans se départir de l'humour irrévérencieux qui a fait leur succès, et nous on dit : chapeau messieurs !

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Morcar
Morcar
il y a 2 années

Comme les précédents films des Farelly, c’est de la caricature, et qui dit caricature dit évidemment exagération. Ce qui prendront au premier degré l’humour de ce film auront donc l’impression de voir un film grossophobe, alors que c’est plutôt le contraire. Je préfère quand même beaucoup « Dunm & Dumber » et « Mary à tout prix ».

Deny
Deny
il y a 2 années

@Arsh Tu m’a trop fait rire! Excellent

Dentscie
Dentscie
il y a 2 années

Encore aujourdh’ui il est à la page ! rare avec ce genre d’humour ! super film

Marc en RAGE
Marc en RAGE
il y a 2 années

@Arsh

Il arrive que je fait des fautes de frappes également 😉 si tu veux débattre as tu vu Misanthrope ou 65 La Terre D’avant j’ai donné mon avis sur le deux films.

Arsh
Arsh
il y a 2 années

@Marc en RAGE
Ce qui est sûr, c’est que tu ne défends pas la langue française ! 😉

Marc en RAGE
Marc en RAGE
il y a 2 années

@deny

Tant mieux pour toi, je défend des films qui n’on peux d’entrées et que j’ai appécié comme 65 la Terre d’avant et surtout Misanthrope 100 146 entrée j’en reviens toujours pas !

Deny
Deny
il y a 2 années

Un de mes films préférés!

Marc en RAGE
Marc en RAGE
il y a 2 années

Ce film est une bouse ! Je n’ai jamais pu finir ce film .