Avec David Twohy plonge dans le grand bain du film de sous-marin tout en naviguant dans les eaux du paranormal. Frissons garantis.
À la manière de John Carpenter, David Twohy s'est toujours efforcé de préserver son indépendance artistique en gardant ses distances avec le système des studios hollywoodiens. Après avoir signé dans les années 1990 Timescape, le ager du futur et The Arrival, deux films relativement confidentiels, il se fait remarquer avec Pitch Black, l'un des meilleurs héritiers du Alien de Ridley Scott, qui introduit le personnage de Riddick (Vin Diesel), antihéros génial rappelant Snake Plissken, l'emblématique hors-la-loi carpenterien.
Le succès surprise de ce premier volet – suivront ensuite Les Chroniques de Riddick et Riddick – le place dans le collimateur des frères Bob et Harvey Weinstein, qui règnent alors en maîtres sur la planète cinéma. Il se retrouve ainsi propulsé aux commandes d'Abîmes, remplaçant Darren Aronofsky, qui continue de participer au projet en tant que coscénariste, et sur le papier, les promesses d'un film de sous-marin mâtiné de surnaturel ont de quoi faire méchamment saliver.
Mais difficile de maintenir le cap avec les deux affreux producteurs sur son dos. Heureusement, malgré la pression et le naufrage spectaculaire du film au box-office, Twohy accouche d'un modèle unique en son genre.
Votre attention, s'il vous plaît, ça va sombrer !
EN ZONE FROIDE
Seconde Guerre mondiale et sous-marin ont souvent fait bon ménage sur grand écran, et les exemples ne manquent pas, à commencer par Le Bateau de Wolfgang Petersen qui tient lieu de maître étalon dans le domaine. Abîmes poursuit cette tradition en situant son intrigue en plein océan Atlantique, à bord de l'USS Tiger Shark, un sous-marin américain qui, face aux assauts de la flotte allemande, n'a d'autre choix que de s'enfoncer dans les profondeurs. Et on vous le donne en mille, ce que les personnages vont y trouver ne va pas (du tout) leur plaire.
La tension naît ainsi de l'ubiquité de la menace, qui rôde au-dessus et en dessous de la surface, et Twohy n'a pas besoin de déployer l'artillerie lourde afin d'instiller un sentiment de danger permanent. Il suffit d'une vue périscopique d'un bâtiment allemand, surgissant au loin telle une machine infernale, ou de flashs lumineux simulant l'explosion des grenades pour croire immédiatement à la présence malfaisante des assaillants. L'ennemi apparaît donc déjà de manière fantomatique, annonçant la nature du Mal qui va peu à peu persécuter les membres de l'équipage.
Le complexe de supériorité résumé en un plan
Cette économie d'effets mobilise de fait l'imagination du spectateur, qui s'interroge comme les protagonistes sur tous les phénomènes inquiétants alentours, à l'instar de ces bruits étranges contre la carlingue ou à l'extérieur du sous-marin. Il faut bien reconnaître au cinéaste un vrai talent pour la débrouille. Plutôt que d'aller tourner dans l'Atlantique, il parvient par exemple à recréer l'illusion du large en filmant sur le lac Michigan, et à construire une réplique du sous-marin vingt fois plus grande que le modèle réel afin de rester maître de son découpage.
Une manière aussi de privilégier une forme de minimalisme alors que le budget alloué, plutôt confortable (40 millions de dollars), autorisait une approche plus tapageuse, comme le souhaitaient Bob et Harvey. "J'ai toujours été intéressé par l'ADN horrifique de cette histoire, mais je ne voulais pas en faire un film à sursauts […] comme les frères Weinstein me l'avaient demandé. J'ai résisté […] et ils m'ont dit : tu ne veux pas coopérer avec nous, alors on va sortir le film sur 200 écrans au lieu de 1200", racontait le réalisateur pour le podcast Good Movie Monday à l'occasion des vingt ans de la sortie d'Abîmes. Vraiment des gens bien ces deux frangins, n'est-ce pas ?
USS ECTOPLASME
Décidément, on y revient, mais quelle grande idée d'hybrider le film de sous-marin avec celui de maison hantée. Encore fallait-il que la greffe prenne, bien sûr, et Twohy s'y est employé entre autres avec le concours de Peter Chiang, superviseur des effets visuels, avec lequel il avait déjà travaillé sur Pitch Black. Et de la même façon que pour leur précédente collaboration, chaque trucage est rendu d'autant plus invisible qu'il profite des expérimentations esthétiques du cinéaste autour du flou et de l'obscurité, malgré deux ou trois partis pris un peu datés.
Grâce à cette atmosphère entre ombre et lumière, due à l'éclairage de plus en plus défaillant du sous-marin, le film orchestre un jeu de cache-cache particulièrement flippant dans les coursives de l'USS Tiger Shark, redoublant celui qui se joue à l'extérieur avec les Allemands. "On dit que c'est un immense océan. Mon œil", lance le lieutenant Loomis (Bruce Greenwood) n'ajoute : "Et il manque cruellement de cachettes".
On aime les cellules de crise au fond de l'océan
On pourrait très bien considérer Abîmes comme un Shining subaquatique tant chaque coursive rappelle le dédale de l'Overlook Hotel. De la salle de commandement aux couchettes de l'équipage en ant par le ballast, on sait toujours où l'on se trouve. Une vraie gageure pour le cinéaste qui s'amuse à spatialiser son décor pour mieux brouiller les repères du spectateur ensuite en plongeant le sous-marin dans les ténèbres. Dès lors, on guette la moindre apparition surnaturelle avec beaucoup d'appréhension, et là encore, c'est quand on croit discerner les contours d'une silhouette ou les traits d'un visage un tant soit peu suspect que le trouillomètre grimpe aussitôt.
Mais que serait la peur, la vraie, sans le silence ? À l'heure où les jumpscares nous vrillent les tympans jusqu'à l'absurde, Twohy ménage à nouveau son argument horrifique en absentant régulièrement la musique ou les sons d'ambiance. Quand un phonographe se met tout à coup en marche ou qu'une voix caverneuse émane de nulle part, le sentiment d'effroi est décuplé par un environnement sonore hyper-épuré. Certes, le réalisateur ne réinvente rien ici. Reste qu'il maîtrise parfaitement les codes du genre et sa démarche d'entertainer patient, exigeant et malgré tout généreux l'honore.
"C'est une baleine ou un revenant qu'on entend ?"
FEMME À BORD
En introduisant dans l'équation un personnage féminin, Claire (Olivia Williams), qui compte parmi les trois naufragés anglais repêchés au début du film, le réalisateur met à mal l'habituelle dynamique viriliste, voire machiste, du récit de guerre, et surtout fragilise un équipage qui voudrait sauver la face. Cela commence à la faveur d'un plan-séquence où les sous-mariniers se transmettent l'information de l'arrivée à bord des trois survivants façon téléphone arabe : "Alerte générale, on a trois British, dont une femelle", avant qu'en fin de course, l'un d'eux, Stumbo, suggère que la présence de Claire va leur porter la poisse. C'est cette fine frontière entre le désir et la crainte qu'elle suscite qui irrigue une bonne partie du film.
Son statut de soignante évoque aussi lointainement celui de guérisseuse que l'on accolait aux sorcières, d'où une place non négligeable accordée aux superstitions dans l'intrigue. De même, elle est la voix de l'affranchissement, celle qui va prophétiser le chaos à venir et défier l'autorité des lieutenants Brice et Loomis. En ce sens, on aurait bien envie de parler de dimension féministe (sans risquer de recevoir une volée de bois verts, on a le cœur fragile nous aussi), et il est tout à fait intéressant de constater que les derniers protagonistes masculins à rester en vie sont ceux ayant accepté de revoir leur identité de mâle dominant à la baisse.
Que Darren Aronofsky ait coécrit le projet n'a rien d'étonnant quand on observe la suite de sa carrière et l'importance qu'il donne aux rôles de femmes émancipées, aux prises avec des hommes impitoyablement narcissiques. On pense évidemment à la pauvre Nina (Natalie Portman) dans Black Swan, face à un Vincent Cassel tentateur et intransigeant, ou bien à l'incarnation de mère Nature (Jennifer Lawrence) dans Mother!, prisonnière d'un démiurge (Javier Bardem).
Twohy se sert ainsi de son personnage féminin comme d'un révélateur, au même titre qu'un bain de chimie vient fixer une photo argentique. La simple idée d'apposer un filtre rouge sur les scènes en flashback rappelle l'éclairage des chambres noires consacrées au développement photographique. Alors oui on a vu plus subtil, mais cette volonté de déployer les enjeux du récit d'abord par l'image, grâce aussi au montage, qui va jusqu'à juxtaposer é et présent dans un même mouvement, est bien la preuve d'un indéniable savoir-faire.
En dépit du four commercial spectaculaire essuyé à sa sortie, Abîmes est donc bel et bien une anomalie, peut-être l'une des plus réjouissantes dans le genre du film de sous-marin. Peu auront su réinventer la formule avec autant de malice et d'humilité, deux qualités qui correspondent parfaitement à David Twohy, petit maître ayant redonné au début des années 2000 ses lettres de noblesse à la série B fantastique et de science-fiction. Hélas, son dernier film en date, Riddick, troisième (et dernier ?) volet de sa célèbre saga, n'a pas convaincu grand monde. Mais ici, on croit aux comebacks, plutôt deux fois qu'une, même.
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@Geoffrey Crété : moi je l’ai découvert il y a quelque années, en rattrapant quelques films d’horreur des années 80… j’ai été très déçu… on ne voit quasiment jamais la bestiole, elle est super mal animée… (pourtant c’est du Stan Winston) c’est tellement moins bien que the thing qui est pourtant plus vieux…
@cidjay
Revu récemment et : c’est toujours cool. Et rien à voir avec The Rig puisque c’est divertissant.
@Geoffrey Crété : oui, Leviathan c’est très cool.
Remis dans son époque oui… c’était pas trop mal.
Aujourd’hui c’est aussi nase que The RIG !
@Yo
Discussion qu’on a eue au bureau tout à l’heure : Leviathan c’est plutôt une base sous-marine. Comme Abyss d’ailleurs. Mais oui, Leviathan c’est très cool
https://ecranlarge.sitesdebloques.org/films/dossier/1028424-underwater-the-host-un-cri-dans-locean-le-meilleur-du-pire-des-films-de-monstres-aquatiques
« le seul » et Léviathan ??
Avez-vous déjà vu Abyss?
@petitbiscuit
Non seulement le film de fantômes et le film d’horreur (terme très générique s’il en est) sont dans le même recoin, mais en plus, ce n’est qu’un titre un peu léger, et une porte d’entrée pour donner envie aux gens de s’intéresser au film si besoin.
un film d’horreur?…hmmm plutôt un film de fantôme.
On parle souvent de vaisseau hanté pour le coup il s’agit d’un sous-marin hanté.
Un vrai bon film et comme souvent à Twohy, un deuxième visionnage permet de comprendre le sens de certaines phrases et scène…par exemple: le capitaine demandant à l’enseigne de sortir de l’infirmerie quand il comprends que les propos des naufragés pourraient poser problèmes…
bon souvenir d’un petit B pas parfait mais qui fait le job. je dois avoir le dvd quelque part…