Films

Sholay : plus fort que le western spaghetti, découvrez le western curry

Par Clément Costa
7 janvier 2023
MAJ : 24 mai 2024
Sholay : photo

Considéré comme le film le plus important de l’histoire du cinéma indien, Ramesh Sippy est un western spectaculaire qui a révolutionné Bollywood.

Il existe des films dont l’aura culte ne tarit jamais, des œuvres qui finissent par atteindre dans l’imaginaire collectif le statut de légende de la culture populaire. Sholay de Ramesh Sippy en fait clairement partie. S’il y a bien un film qui revient systématiquement en Inde quand les critiques et le public doivent choisir le plus grand film de tous les temps, c’est celui-là.

Projet démesurément coûteux au tournage laborieux, Sholay a fait exploser le genre du western à Bollywood. Mais au-delà de la révolution technique évidente, la prouesse du cinéaste Ramesh Sippy est d’avoir posé tous les codes du western indien. Revenons sur ce qui fait de ce classique un chef-d’œuvre intemporel.

 

Sholay : photoUn moment de franche camaraderie

 

IL ÉTAIT UNE FOIS LA RÉVOLUTION

Lorsqu’il commence à travailler sur Sholay en 1973, Ramesh Sippy va chercher son inspiration chez les plus grands maîtres du septième art. Avec ses deux scénaristes Javed Akhtar, le cinéaste pioche tant du côté de Kurosawa avec Les Sept Samouraïs que de Sergio Leone pour Il Était Une Fois dans l’Ouest. Cette filiation se retrouvera aussi bien dans la grammaire visuelle de son film que dans l’écriture du scénario.

Mais plutôt que de verser dans la simple citation, voire même dans l’emprunt malhonnête, Ramesh Sippy démontre sa compréhension parfaite du western. En effet, tous les grands motifs du genre sont présents dans Sholay. On retrouve le thème musical entêtant ponctué de sifflements, les héros hors-la-loi dont un Amitabh Bachchan qui semble être la réponse indienne au mythe Clint Eastwood, un méchant dont chaque apparition est inconique ou encore les dialogues cultes appelés à être cités encore et encore. Tous les ingrédients sont présents pour satisfaire les connaisseurs.

 

Sholay : photoEt pour quelques roupies de plus

 

En 1975, le public indien n’a que très peu accès au cinéma international. Dès les années 50, on trouvait déjà quelques tentatives d’importation du western dans le pays. Cependant, ces tentatives souvent timides et trop fidèles au modèle hollywoodien étaient restées stériles. Ainsi lorsque Sholay lance son épopée, c’est la toute première fois que les écrans indiens projettent un tel spectacle total. Conscient des enjeux colossaux, Ramesh Sippy s’assure de séduire les spectateurs dès les toutes premières minutes.

Après moins d’un quart d’heure de film, on découvre bouche bée une séquence d’action absolument dantesque mettant en scène l’attaque d’un train en mouvement par des bandits armés. Entre la prouesse technique et les cascades particulièrement risquées, cette scène folle a réclamé 17 semaines de tournage. C’est une véritable profession de foi pour le réalisateur. À partir de ce moment-là, le blockbuster moderne à l’indienne vient de naître. Ramesh Sippy réécrit l’histoire du cinéma bollywoodien.

 

Sholay : photoLa naissance du blockbuster bollywoodien

 

Toujours dans cette envie de filmer un spectacle furieux tel que le public indien n’en a jamais vu, le cinéaste opte pour une approche particulièrement violente dans son traitement des fusillades et des combats. Là encore, l’héritage de Sergio Leone n’est jamais loin. Le grand méchant du film, Gabbar Singh, est un chef tyrannique, sadique et libidineux. Pourtant la caméra de Sippy semble fascinée par ce génie du Mal. Dès qu’il apparaît, la mise en scène s’emballe. Il deviendra immédiatement un personnage culte auprès du public.

Le choc est culturel et générationnel. L'usage décomplexé de la violence va soulever l’indignation d’une partie de la presse cinéphile. Les institutions de l’époque sont tellement frileuses face à ce spectacle brutal que le CBFC (office indien de régulation et de classification des œuvres cinématographiques) exigera qu’une fin alternative soit tournée avant d’autoriser la sortie en salles de Sholay. Jugé plus moral, ce dénouement forcé retire pourtant au film une partie de sa puissance cathartique.

Mais même dans ses scandales, ce chef-d’œuvre pose les bases du cinéma de divertissement indien tel qu’on le connaît aujourd’hui. Depuis des décennies, violence et blockbuster familial se côtoient sans problème à Bollywood ainsi que dans toutes les autres industries régionales. On l’a encore constaté l’année dernière avec le blockbuster télougou RRR de S. S. Rajamouli, dont la brutalité a surpris une partie du public occidental. En parallèle, les salles indiennes étaient remplies de familles et même de jeunes enfants.

 

Sholay : photoComment ça, violent ?

 

CURRY FURY

Entre la découverte d’un genre et le renouveau technique, on pourrait être tentés de limiter Sholay à un petit exploit local. Mais ce serait er à côté d’un élément crucial. Le film n’a pas seulement importé le western en Inde. Il a tout simplement renouvelé le genre pour en créer une nouvelle variation autonome à l’identité marquée : le western indien, parfois appelé le film de dacoït ou le western curry (si, si, c’est une appellation officielle).

Il était impossible de simplement délocaliser un genre aussi marqué que le western sans proposer quelque chose de profondément novateur. En balayant la conquête de l’Ouest et la sempiternelle lutte entre les cowboys et les natifs, Ramesh Sippy n’oublie pas de proposer une contrepartie. Il va lui aussi puiser dans l’histoire de son pays pour créer le mythe cinématographique du dacoït.

À l’origine, le terme "dacoït" désignait les bandits qui évoluaient en bande organisée et vivaient généralement en autarcie. Ces groupes criminels sont apparus historiquement au 19e siècle en réponse à l’oppression britannique. Mais plutôt que d’en livrer une documentation précise, Sholay a instantanément transformé le dacoït en figure de pop culture. Une figure si populaire qu’on la retrouve d’innombrables fois à Bollywood mais aussi dans le cinéma tamoul, kannada ou encore télougou.

 

Sholay : photoDes méchants d'un nouveau genre

 

Non content de créer un nouveau mythe du western, Sippy distille tout le long de son film des questionnements inhérents à la société indienne. On y retrouve par exemple une certaine idée de la cohabitation entre hindous et musulmans. Et face au cinéma de propagande hindou des années 2010, l’image d’une jeune Hema Malini guidant un vieil homme aveugle jusqu’à la mosquée a quelque chose de déchirant.

Mais ça n’est pas tout. Sholay aborde de près ou de loin d’innombrables thèmes sociaux tels que la condition des veuves en Inde ou encore la complexité des mariages arrangés. Bien plus qu’un décalque du western occidental, le film comprend parfaitement comment adapter le genre à sa propre culture.

 

Sholay : photoLa moustache sans nom

 

Et bien au-delà des thématiques évidentes qui sont explicitées par les dialogues et le scénario, le long-métrage dans son ensemble peut être perçu comme une métaphore ionnante de l’Inde des années 70. Après tout, le récit se déroule sur une terre divisée, déchirée par une lutte constante pour le pouvoir. Le combat e en priorité par la mise en danger de l’unité. Sans oublier le dilemme moral au cœur du dénouement : le choix à faire entre vigilante et justice.

Cette tension sous-jacente et cette violence qui ne demande qu’à exploser, la société indienne les subissait alors de plein fouet. Elles finiraient par atteindre un point de culminance avec la déclaration de l’État d’urgence par Indira Gandhi de 1975 à 1977. C’est donc avec une forme de prémonition que Sholay se préparait à être un immense film politique dès l’écriture de son scénario.

 

Sholay : photoLes uns contre les autres

 

Enfin, si le film est résolument indien, c’est aussi parce qu’il n’oublie pas d’être un masala – terme utilisé en Inde pour décrire les longs-métrages populaires qui mélangent plusieurs genres. Car non content d’être un western révolutionnaire, Sholay est aussi une comédie, un drame romantique et un film musical. Cette culture du mélange renforce son ADN purement bollywoodienne et achève de définir les codes du western curry.

C’est donc pour toutes ces raisons, et bien plus encore, que le film de Ramesh Sippy est considéré comme le fondateur du Bollywood moderne et du film de dacoït. Et si l’heure de gloire du western est ée de mode en Inde comme dans le reste du monde, on a constaté depuis Bandit Queen en 1994 l’apparition d’un western crépusculaire à l’indienne.

Ces dernières années, Paan Singh Tomar et Sonchiriya sont venus sublimer le genre. Avec une particularité frappante : le dacoït est à présent le héros. Gabbar Singh n’est plus ce méchant de pop culture, il est devenu un appel à la résistance dans une Inde au contexte politique plus trouble que jamais.

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question
question
il y a 2 années

Bonjour, Vous parlez de western curry du coup il y a eu d’autres westerns Indien que Sholay ?
Je veux bien quelques titres s’il vous plait ?

Geoffrey Crété
Geoffrey Crété
il y a 2 années

@spac3l0rd

On est ravis de lire ça ! Ca fait environ un an qu’on a lancé tout ça avec Clément, exactement pour cette raison !

Spac3L0rd
Spac3L0rd
il y a 2 années

Grâce à vos articles, je découvre petit à petit le cinéma indien, c’est un plaisir. J’ai eu un premier gros choc avec RRR, ce film est génial aussi.
Merci !

Clément Costa
Clément Costa
il y a 2 années

C’est marrant, il y a une règle très simple dans la vie : quelqu’un qui dit « le cinéma *insérer pays/industrie* c’est nul » ne se repose généralement que sur une série de clichés et ignorance totale du cinéma en question. C’est valable pour le cinéma indien (autant Bollywood que Tollywood, Kollywood, etc) comme pour le cinéma français, coréen, espagnol, japonais, etc.

Bref, merci de confirmer une fois de plus cette règle universelle.

Billy
Billy
il y a 2 années

Bollywood devrait s’appeler Memewood.

Si ils ont quelque perles comme Devdas et la majorités des films magnifiques de Aamir Khan, le reste…oh mon Dieu…et le pire, ils se prennent au sérieux. Je crois dur comme fer qu’il se rendent pas compte a quel points ils sont ridicules et que le monde se fous de leurs gueules.

Et je dit pas ça gratis hein! Les premiers a se foutre des films bollywood sont les youteubés Indous.

Clément Costa
Clément Costa
il y a 2 années

Et pourtant, pour une fois ça n’est même pas un mauvais jeu de mot ! « Western curry » est bien une des appellations officielles du genre, aussi légitime que le fameux western spaghetti. De là à savoir si ces appellations sont de bon goût, c’est évidemment une autre affaire…

Sanchee
Sanchee
il y a 2 années

Attention avec un titre pareil vous allez vous faire cancel !