Qu’il est agréable de revenir en festival ! Et le rendez-vous annuel du forum des Images n’a pas fait les choses à moitié pour ce retour au bercail. Bilan.
Les cinéphiles déviants et parisiens (une caste peu représentée, mais très influente) redoutaient son annulation, rendue quasi-inévitable par la situation sanitaire. Mais avec une hardiesse forçant le respect, l’équipe de l’Étrange Festival a su se placer entre deux vagues, refusant absolument de s’en remettre à la plateforme numérique. Le crew avance masqué donc : les trois salles de projection se sont peuplées pendant une semaine et demie d’étranges individus au visage méconnaissable, comme lors d’une convention de boogeymen.
Et des masques, on en a vu, puisqu’en dépit de cette pandémie pesante, le succès était au rendez-vous. D’ailleurs, l’auteur de ces lignes a dû se résoudre à faire une croix sur quelques séances. C’est la faute au coronavirus. Forcément allégé de son fort taux d’invité – malgré quelques présentations vidéos atypiques envoyées directement par les cinéastes, mention spéciale à l’inénarrable Lloyd Kaufman -, l’évènement a su être aussi détonnant et singulier qu’à l’accoutumée. On ne pouvait rêver meilleur endroit pour se confiner.
Belle mise en abîme que la séance de Possessor, le premier jour
Étranges GROSSES MACHINES NATIONALES
Comme souvent, l’Étrange Festival est une bonne occasion de prendre la température des blockbusters étrangers. L’absence de distribution de certains films non-américains importants dans nos contrées reste un vrai problème, et l’évènement est là pour faire office de séance de rattrapage, même si beaucoup de ces productions locales arriveront en vidéo chez nous. C’est le cas de la critique est disponible.
Autre prochaine sortie DVD et Blu-ray, ayant même décroché le prix Canal+ : The Legend of Tomiris, péplum kazakhstanais de plus de deux heures. Récits initiatiques et grandes batailles s’y succèdent dans une intrigue somme toute très classique, mais qui a pour elle d’iconiser une héroïne un peu antipathique, sans jamais la sexualiser, travers dans lequel beaucoup de traitements américains seraient tombés avec délectation. Une proposition divertissante, donc, pour peu qu’on parvienne à s’accommoder du look du film, aux teintes marronnasses dépressives. Drôle de façon de mettre en valeur des paysages aussi sublimes.
Tomiris-ra bien qui rira le dernier
Parmi ces gros morceaux, si on ne compte pas le controversé Sputnik, essai de SF horrifique russe qui se paye une belle petite réputation. Et si la qualité technique de la chose est indéniable, beaucoup ont été déçus par le traitement de l’aspect science-fictionnel et horrifique de l’histoire qui peine à suivre les enjeux politiques. Dans cet étrange numéro d’équilibriste, le long-métrage penche plus d’un côté, et c’est bien dommage, vu l’excellente facture des effets spéciaux et de la mise en scène.
Enfin, la cérémonie de clôture est revenue au cinéma Coréen avec Lee Byung-hoon à elle seule vaut le visionnage. Ça sort le 4 novembre en DVD en .
Une certaine ion pour les tanks
Étrange AIR DU TEMPS
Il est encore trop tôt pour les films méta-pandémiques (ça sera pour l’année prochaine), mais une grosse partie de la programmation du festival traitait une fois de plus d’enjeux bien contemporains. La sélection comportait une dose conséquente de réalisatrices (dont la metteuse en scène de l’incroyable Romola Garai.
Plus intéressant encore, le drame d’époque de Freddie Fox). Enveloppée dans un 35mm éreintant, cette histoire se termine dans un bain de sang jouissif par moments. Un vrai plaisir.
Maxine Peake, épatante en Fanny Lye
Autre sujet de préoccupation so 2020 : les nouvelles technologies et surtout les réseaux sociaux. Il devient difficile de se confronter au sujet avec sérieux. La plupart des films présentés y faisant référence se sont donc révélés être des comédies potaches. ons sur Spree et ses 24 enfonçages de portes ouvertes à la seconde mâtinées de petites touches de violence inoffensives. Reste alors deux options.
La première, c’est le nouveau Troma, qui répond au doux nom de Shakespeare’s Shitstorm. On redoutait le jour où Lloyd Kaufman et sa bande allaient s’attaquer à la woke culture, et c’est chose faite. Comme toujours avec les productions Troma, votre appréciation dépend avant tout de votre résistance aux matières fécales et de votre capacité à faire muer un second degré tendance « on ne peut plus rien dire » en un 3e degré qui relève de la transcendance scatophile. Heureusement, la frénésie globale l’emporte souvent.
La deuxième sortait un peu de nulle part. Get the hell out est un film de zombie taïwanais se déroulant dans un parlement. Oubliez le faux potentiel satirique de la chose : son intérêt réside dans un comique visuel complètement taré, mené par un monteur carburant à on ne sait quelle substance (mais on en veut). La comédie parvient miraculeusement à se réapproprier et à utiliser à bon escient la culture internet, pour une aventure absurde qui se renouvelle en permanence. Plus déjanté, tu meurs, littéralement.
À noter également la présence d’un long-métrage ayant récemment défrayé la chronique lors de sa projection à Berlin et de sa non-projection à Melbourne : Mignonnes de sexualiser les enfants. La première demi-heure ne met en scène rien de moins qu’une relation parfois sexuelle entre un père et sa fille-robot, au look très réaliste. Le malaise est palpable, mais a pour lui d’apposer un regard vraiment nouveau sur l’intelligence artificielle. La suite du récit, creusant encore plus ce sillon avec une sensibilité tout autre, confirme cette originalité.
Reste que la lourdeur stylistique dans laquelle se complait un essai bien avare en réponses sur sa propre intrigue a tendance à étouffer un peu tout ça. L’expérience est donc singulière et conçue pour diviser, trop, diront certains.
LE RETOUR DES Étranges OUTSIDERS
Mais les grands gagnants de cet Étrange Festival étaient indéniablement les parias. C’est d’ailleurs sur eux que ce sont concentrés beaucoup de documentaires de la sélection, encore une fois dans une remise en question très moderne. The Witch of Kings Cross a donc permis de réhabiliter une figure artistique majeure ayant repris sa propre persécution à son avantage. Malheureusement, la forme du long-métrage, misant parfois plus sur ses digressions visuelles que sur l’art qu’il évoque, déçoit, d’autant plus qu’on a parfois du mal à identifier les sources des documents visibles à l’écran.
Un écueil auquel échappe Tiny Tim – King for a Day, consacré au chanteur américain. S’il reprend peu ou prou la même structure que son concurrent, il colle très bien à son sujet grâce à des choix judicieux, en tête desquels le recours à l’animation. Ça donne instantanément envie d’écouter ou de réécouter les drôles de chansons de Tiny Tim. Mission accomplie.
Côté fiction, deux outsiders magnifiques ont su s’élever. D’abord, il y a eu Carrie au bal du diable franchouillard, parfois émouvant quand il s’emploie à humaniser un type de personnage souvent relégué au rang de faire-valoir.
Mais le plus étrange des films étranges était sans conteste Street Trash. C’est dire à quel point l’objet est à la fois beau, drôle et inclassable. Typiquement le genre de pelloche qui nous fait revenir chaque année à l’Étrange Festival.
Bien sûr, nous avons omis ou loupé un paquet de films, dont les courts-métrages, le sympathique Miranda July, prix du public et en salles dès le 30 septembre prochain. On vous en parlera donc à ce moment.
Attention, les gars, il y a une ÉNORME coquille dans le texte, merci de vous relire. Car à la place de « On redoutait le jour où Lloyd Kaufman et sa bande allaient s’attaquer à la woke culture » il faut lire « On attendait AVEC LA PLUS GRAND IMPATIENCE le jour où Lloyd Kaufman et sa bande allaient s’attaquer à la woke culture ». De rien. 🙂
Mais sinon wouah, quel programme!! :O Ces films ont-ils une chance un jour d’être visibles? VOD, DVD, BR, etc.? (Je n’ose imaginer une sortie ciné, hein).