Films

Jack Nicholson en méga-bâtard, ça donne la meilleure comédie romantique (si vous détestez les gens)

Par Geoffrey Fouillet
14 octobre 2023
MAJ : 18 avril 2024
Pour le pire et pour le meilleur : photo, Jack Nicholson

Pour le pire et pour le meilleur, la comédie sentimentale qui rue dans les brancards en tout bien tout honneur.

Qui dit film romantique, dit souvent "zéro prise de risques". Le constat est sans doute un peu sévère et les contre-exemples ne manquent évidemment pas. On pourrait à ce titre citer Harold et Maud (une histoire d’amour tout sauf conventionnelle dont on louait les qualités ici même). Mais au rayon des comédies sentimentales, rares sont celles à briller par leur audace ou leurs tentatives d’expérimentations.

Lorsque les planètes s’alignent, cela aboutit à de vraies curiosités telles que Pour le pire et pour le meilleur de James L. Brooks. Malgré sa pluie de récompenses et de nominations à l’époque, le film n’a pas grand-chose d’académique, et pour cause : il réussit à déjouer les ressorts éculés et gentillets du genre, grâce en partie à un Jack Nicholson diabolique (mais ça, ça ne change pas).

 

Pour le pire et pour le meilleur : photo, Jack Nicholson Il est la bonté incarnée (c’est faux)

 

TRÊVE D’AMABILITÉ !

Oui, c’est un fait, la liste des héros qu’on adore détester au cinéma est longue comme le bras, et pour certains, on ne leur en veut pas. Surtout lorsque la vie les a menés malgré eux à prendre en grippe la société. Pensons à Walt Kowalski par exemple, le personnage principal de Gran Torino, un vétéran de guerre devenu aigri et raciste après avoir combattu en Corée et perdu sa femme. Alors oui, on ne l’excuse pas pour autant, mais dans le cas de Melvin Udall (Jack Nicholson donc), on peine vraiment à lui trouver des circonstances atténuantes.

Son voisin de palier, Simon (Greg Kinnear), un artiste gay que Melvin humilie à ses heures perdues, le décrit ni plus ni moins comme "le degré zéro de l’espèce humaine". Et c’est tout à fait justifié. Dès les premières minutes, l’odieux personnage jette Verdell, le chien de Simon (meilleure performance canine à date soit dit en ant), dans le vide-ordures de l’immeuble, et les crasses vont grandissant, surtout lorsqu’elles s’accompagnent de relents xénophobes, antisémites et misogynes, entre autres joyeusetés.

 

Pour le pire et pour le meilleur : photo, Jack Nicholson #SauvezVerdell

 

Là où les choses commencent à sentir le roussi pour lui, c’est lorsque ses "souffre-douleurs" (donc tout le monde) lui renvoient la pareille, à commencer par la serveuse Carol (Helen Hunt, fantastique). Alors bien sûr, pas de confrontations musclées ici, mais des répliques assassines qui réaffirment les talents de dialoguiste du réalisateur. "Je vais crever, vous allez crever, et d’après ce que je sais, votre fils, lui, c’est sûr", lance Melvin à Carol, avant qu’elle ne lui rétorque plus tard : "La toute première fois où vous êtes venu au restaurant, je vous ai trouvé très séduisant, et ensuite, vous avez parlé".

Tout ce grand déballage de politesses provoque non seulement quelques fous rires, mais instaure aussi un climat d’insécurité permanent où tous les coups semblent permis. On éprouve alors cette mise en crise du film romantique, d’ordinaire animé par des valeurs positives et confortables, de la même façon que les personnages éprouvent le sale caractère de Melvin. Et l’empathie naît ainsi moins d’une forme d’identification stricto sensu que d’une réelle comion à leur égard.

 

Pour le pire et pour le meilleur : photo, Helen Hunt Envie d’avoir le moral à zéro ? Melvin est là pour vous !

 

VIEUX BEAU ET DINGO

Maniaque du contrôle, Melvin est un ersatz d’Howard Hugues, souffrant de TOC particulièrement handicapants. On le voit notamment tourner les verrous de sa porte plusieurs fois d’affilée, ou bien éviter soigneusement de toucher les ants dans la rue, et ce n’est que la partie immergée de l’iceberg. Quand les choses tournent à son désavantage, le "malheureux" perd tous ses moyens, répète de vieux réflexes en boucle comme un automate détraqué ou se contente de ravaler son venin.

Plus Melvin prend conscience de son inadéquation au monde, plus la structure même du récit adopte sa propre agitation, assumant une logique chorale cacophonique où chaque personnage cherche à s’imposer. Si bien que plusieurs films semblent se télescoper en un à la façon d’un feuilleton télévisé au gré duquel on bifurquerait d’un enjeu à l’autre, d’un registre à l’autre. Et ici, on e du vaudeville à la farce névrotique, du road-movie à la chronique romantique, sans jamais craindre de s’égarer en chemin.

 

Pour le pire et pour le meilleur : photo, Jack Nicholson "Faites place ! Allez, du balai !"

 

Il est amusant de constater que Nicholson lui-même est un comédien qu’il faut savoir brosser dans le sens du poil. À l’occasion d’une interview pour le magazine Variety, James L. Brooks racontait : "C’était une torture pour Jack de trouver son personnage. (…) Par moments, je n’étais plus capable de l’aider. Un jour, alors qu’on n’arrivait plus à avancer, j’ai demandé à l’équipe de quitter le plateau quelques heures, ce que vous n’êtes pas censé faire. J’ignore de quoi on a parlé [Jack et moi]. Je sais que nous avons discuté deux ou trois heures et le jour suivant, tout était revenu à la normale".

On ne saurait trop blâmer l’acteur d’avoir eu du mal à épo les contours de son personnage, d’autant que le parcours de Melvin s’étale sur plus de 2h20 de film, une durée plutôt excessive dans le cadre d’une comédie de ce type, mais suffisamment longue pour explorer les moindres recoins de sa psychologie. C’est aussi par ce biais que Pour le pire et pour le meilleur reconfigure les ages obligés du genre, en modifiant leur place habituelle dans l’intrigue et donc leur impact.

 

Pour le pire et pour le meilleur : photo, Greg Kinnear, Helene Hunt, Helen Hunt, Jack Nicholson Tout le monde ne semble pas se réjouir du voyage

 

L’AMOUR-PROPRE, QUELLE SALETÉ !

"S’aimer soi-même est le début d’une histoire d’amour qui durera toute une vie", disait Oscar Wilde, et c’est une citation que Melvin, mais aussi Carol et Simon, devraient réciter comme un mantra chaque nuit avant de s’endormir (oui, c’est notre petit côté sadique). Car il est bien là le problème : se détester et le reprocher aux autres. Cela participe d’un paradoxe qui est spécialement prégnant chez Melvin, lui qui écrit des romans à l’eau de rose et vomit en même temps toute forme de sensiblerie.

Pour Carol, il s’agit de s’occuper de son fils malade, tout en se lamentant de n’avoir personne dans son lit. Quant à Simon, son but est de réussir à vivre son homosexualité, tout en obtenant la reconnaissance de ses parents. Tous souffrent d’un complexe qui les empêche de s’ouvrir et de s’éveiller au bonheur, et en cela, leurs trajectoires respectives les invitent à soigner leur égo avant de prendre soin de leur entourage.

 

Pour le pire et pour le meilleur : photo, Jack Nicholson Un vrai Nicholas Sparks qui s’ignore (mais Verdell, lui, n’est pas dupe)

 

Au fond, les personnages réclament ce que le scénario même du film révoque, c’est-à-dire d’authentiques marques d’affection. Et chaque mot doux glané ici et là retentit alors comme une véritable victoire. C’est notamment le cas lors d’une scène de dîner au restaurant où Melvin daigne enfin complimenter Carol et lui dit : "Vous m’avez donné l’envie de devenir meilleur". Ce que nous dit en substance Pour le pire et pour le meilleur, c’est qu’il y a un temps pour tout.

Au lieu de s’échiner à rejeter la candeur propre aux comédies romantiques par simple esprit de contradiction, le film choisit uniquement de s’y conformer au moment où les personnages en ont le plus besoin. Acc le cinéaste de rétropédaler dans la dernière ligne droite serait en somme une belle erreur, tant sa démarche ne vise rien d’autre que la fameuse catharsis, et à ce compte-là, tout le monde est servi, spectateurs compris.

 

Pour le pire et pour le meilleur : photo, Jack Nicholson, Helen Hunt Enfin, ils baissent la garde

 

Loin du pensum sentimental ronflant, Pour le pire et pour le meilleur effectue donc un généreux pas de côté dans le paysage de la comédie romantique. Plus mal-aimable que la moyenne, le film n’en est pas moins attachant et confirme la fructueuse collaboration entre James L. Brooks et Jack Nicholson, après Tendres ions et avant Comment savoir. Les revoir tourner ensemble, avant qu’ils ne tirent leur révérence, aurait de quoi nous consoler de leur départ pendant un moment. Pourvu qu’ils nous entendent !

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Ozymandias
Ozymandias
il y a 1 année

Vu hier, effectivement très sympa j’ai é un bon moment. Jack Nicholson est toujours formidable.

Ozymandias
Ozymandias
il y a 1 année

Connais pas ! Je vais tester ça alors.

Doom-Gui
Doom-Gui
il y a 1 année

Vu ce film quand j’étais gosse, j’avais été touché par l’autisme de ce salaud joué à la perfection par Nicholson et d »une Helen Hunt aussi patiente que Girlboss avec ce type.
Je ne marche plus sur aucune ligne depuis ce film.

Vomito
Vomito
il y a 1 année

Superbe film. Un poil long.
Quel acteur ce Jack. Un monstre.

moky99
moky99
il y a 1 année

« meilleure performance canine à date soit dit en ant » ex-aequo avec le chien dans Mary à tout prix 😉