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La Petite Sirène : comment le film a sauvé les studios Disney

Par Axelle Vacher
28 mai 2023
MAJ : 24 mai 2024
La Petite Sirène : Affiche officielle

Au début des années 80,  Petite Sirène en 1989, la souris parvient finalement à renaître de ses cendres.

Bien avant que le remake en prises de vue réelles n'investisse les salles obscures, le film dirigé par Halle Bailey, décision plus controversée que la réforme des retraites – après tout c'est bien connu, les sirènes sont réelles et ont toutes la peau diaphane. Ce choix de tête d'affiche rappelle pourtant le premier film d'animation proposé par Disney en 1989 (1990 dans nos contrées hexagonales).

Pas que la première Ariel ait impulsé une vague de contestation désolante. Plutôt, elle a marqué le studio d'un signe de renouveau. Figure transitive pour Mickey, La Petite Sirène a par exemple fait le lien entre les princesses à marier peintes à la main telles que La Belle au bois dormant ou Cendrillon, et les jeunes héroïnes digitales un tantinet plus émancipées comme Rebelle ou Vaiana, la légende du bout du monde. Mais surtout, la sirène a sauvé l'animation Disney d'une noyade certaine.

Pourtant, le film a manqué de peu de ne jamais voir le jour, emportant dans sa non-existence le célèbre studio avec lui.‌

 

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Le Roi se meurt

S'il peut aujourd'hui sembler difficile d'imaginer le mastodonte au bord de la faillite, il y a pourtant bel et bien eu un temps où les affaires n'étaient pas bien prospères pour Mickey. En 1966, le saint patron Walt Disney décède prématurément, et laisse l'entreprise à son frère aîné Roy, lequel décède à son tour cinq ans plus tard. 

Rapidement, la souris ressemble à une poule sans tête : en manque d'inspiration et de direction artistique, elle s'enfonce peu à peu dans l'ombre de son propre héritage. Pour la toute première fois en cinquante ans, l'ancien géant de l'animation ne domine plus le secteur, et mise davantage sur les coupures budgétaires que la créativité pour garder la tête hors de l'eau.

 

La Petite Sirène : photoGlou-glou

 

En 1983, Ron Miller, directeur général de Walt Disney Productions, offre la direction à Michael Eisner, lequel occupe à l'époque le même poste chez la Paramount. Saisissant l'opportunité de quitter un studio dans lequel il ne trouve plus son compte, Eisner accepte l'offre de Miller, et le remplace officiellement en septembre 1984. 

L'objectif est simple : rendre à Mickey ses couleurs d'antan et reconquérir le marché. Sitôt dans l'entreprise, il la rebaptise The Walt Disney Company et entreprend d'en moderniser l'image. Dans la foulée, Eisner nomme Jeffrey Katzenberg, qu'il connait depuis ses années à Paramount, président de Walt Disney Pictures. Celui-ci décide alors de privilégier les partenariats avec des célébrités préétablies ainsi que les projets destinés à un public plus adulte via leur nouvelle filiale Touchstone Pictures.

 

La Petite Sirène : photoEisner & Katzenberg vs les animateurs

 

Tout cela se déroule néanmoins au détriment de l'animation, dont Katzenberg juge la gestion déée, voire déconnectée des impératifs contemporains. Cela ne signifie pas que Disney a totalement cessé de verser dans la production animée ; en 1986, Ron Clements dirigent notamment Basil, détective privé, lequel engrangera modestement quelque 25,3 millions de dollars. Et c'est justement pendant la réalisation du Sherlock Holmes à grandes oreilles que Clements s'intéresse pour la première fois à La Petite Sirène

Il découvre le conte original d'Andersen par hasard au détour d'une librairie, et le propose rapidement à Katzenberg, qui le refuse immédiatement. Pas question de faire de l'ombre à sa comédie fantastique Splash (1984), laquelle figure déjà une romance entre une sirène et un homme. Mais finalement, le producteur revient sur sa décision, et valide le développement du film. Ironie du sort, l'équipe chargée de plancher sur les aventures d'Ariel déniche fortuitement le premier jet d'une adaptation du conte datant des années 1930.

 

La Petite Sirène : photoEt Katzenberg vs Celements

 

Le Grand Bain

Le projet a beau avoir été validé, La Petite Sirène ne nage pas bien vite. En effet, Katzenberg a imposé aux animateurs de prioriser les sorties de Qui veut la peau de Roger Rabbit ? et d'Oliver et compagnie. Par chance, les succès de ces deux films ont profitent néanmoins au projet. C'est ainsi que Clements propose notamment au parolier Howard Ashman, lequel a brièvement contribué à l'Oliver Twist félin, d'être rattaché aux aventures d'Ariel et d'en assurer les numéros musicaux. Sans le savoir, le réalisateur et animateur vient par cette offre d'impulser l'un des tournants majeurs de l'entreprise.

Débarqué à Hollywood après un récent échec à Broadway, Ashman en a malgré tout conservé l'amour et les codes, qu'il entreprend aussitôt de greffer à l'ADN Disney. Si aujourd'hui la notion de performances musicales semble indissociable des productions animées de Mickey Mouse, cela n'était nullement le cas avant l'intervention du parolier.

 

La petite sirène"Fine. I'll do it myself"

 

Certes, le studio n'est pas étranger aux personnages poussant la chansonnette ("Un jour, Mon prince viendra" est probablement imprimée à tous jamais dans la mémoire collective depuis la diffusion de Blanche-Neige et les Sept Nains en 1937), mais l'idée de mêler le narratif au spectaculaire à la façon d'un musical est alors inédite.

Il s'agit donc d'un pari aussi risqué qu'ambitieux pour Ashman et le compositeur Alan Menken ; ils s'appliquent néanmoins à reprendre de nombreux éléments du film pour mieux correspondre à cette nouvelle structure, quitte à réécrire des ages entiers, voire réimaginer certains personnages.

Sebastien par exemple, devait initialement être un petit crabe-majordome britannique nommé Clarence avant d'être totalement refondu en chef d'orchestre reggaeton plus folklorique (on era toutes les plaisanteries relatives à 8 Miles qu'il possible de faire avec cette information). De ce changement à priori anecdotique ont notamment découlé les chansons désormais iconiques "Sous l'océan", dont le rythme est principalement inspiré du calypso, ou encore "Embrasse-la" et son fameux choeur de grenouilles, flamands roses, et autre poiscaille.

 

La Petite Sirène : photoUn peu comme Mulan sans Mushu, quoi

 

Malgré tout, Katzenberg n'est toujours pas convaincu, tant et si bien qu'après une première projection test, il tente de retirer l'iconique "Partir là-bas" du montage final. Il est toutefois convaincu (ou plutôt, menacé par Ashman) de conserver la chanson dans le montage final, et le producteur reconnaîtra l'erreur monumentale qu'une telle suppression aurait représentée.

Et effectivement, sans cette chanson, et plus largement sans le travail d'Ashman, La Petite Sirène aurait été dépourvu de ce qui a fait non seulement fait son succès à sa sortie en 1989, mais aussi sa postérité à l'heure actuelle. Pire encore, cela aurait privé Disney de sa nouvelle formule gagnante, celle-là même qui fut réemployée par la suite pour tout un tas de petites choses méconnues, telles que La Belle et la Bête , Aladdin, ou Le Roi Lion. Alors faut-il blâmer le parolier pour "Libérée, délivrée" ? En quelque sorte.

 

Petite Sirène (La) : Photo ArielLa crise d'ado la plus rentable au monde

 

« Il est bon mon poisson »

À bien des égards, La Petite Sirène est la figure du renouveau pour Mickey. Considéré comme le tout premier film de la "renaissance" ou du "second âge d'or" (de 1989 à 1995), il se veut transitif à tous les points de vue, oscillant habilement entre tradition et modernisme. S'il s'agit par exemple du tout premier conte de fées à être dirigé par le studio depuis La Belle au bois dormant en 1959, sa protagoniste moins préoccupée par la recherche d'un prince charmant que par ses désirs d'aventures se distingue néanmoins des autres princesses Disney.

Il s'agit également du tout dernier film à utiliser la méthode des cellulos peints à la main... Ce qui n'a pas empêché les animateurs de recourir partiellement à l'imagerie par ordinateur pour finaliser l'animation de certains éléments, tels que les navires échoués au fond de l'océan lors de la bataille finale, ou encore le carrosse que conduit Ariel, Dom-Toretto-style.

 

La Petite Sirène : photoFast & Curious

 

Et justement, en parlant d'animation, des comédiens ont été employés comme références vivantes aux illustrateurs, chose qui ne s'était pas produite  depuis les années 50. Mais là encore, la technique bénéficie d'un petit twist moderne, puisque les comédiens en question ont été filmés afin d'inclure les mouvements de caméra aux croquis et esquisses.

Si Katzenberg était initialement persuadé que le film ne collectionnerait pas les billets verts, puisque destiné à un public plutôt féminin (ah, le sexisme),il a tout de même fini par en flairer le potentiel. Aussi, La Petite Sirène s'est vu allouer l'un des plus gros budgets jamais accordés à un film d'animation (à l'époque, bien sûr). Et le jeu en a largement valu la chandelle.

Avec son investissement à 40 millions de dollars (soit, 97,8 millions ajustés à inflation), Ariel a permis au studio d'engranger plus de cinq fois sa mise initiale avec 211 millions de dollars de recettes mondiales (516,2 millions en 2023). Et si cela paraît bien peu en comparaison d'autres succès de la firme, il s'agit, en 1989, d'un énorme succès.

 

La Petite Sirène : photo Roi TritonQuand tu reprends ton pote à avoir des préjugés à la mord-moi-le-noeud

 

Outre sa réussite commerciale, le film est également acclamé par la critique à sa sortie. Nommé à de multiples prix et cérémonies, il remporte entre autres deux Oscars (celui de la meilleure musique de film – une première pour un film d'animation depuis Dumbo en 1942 – et celui de la meilleure chanson originale pour "Sous l'océan"), mais aussi deux Golden Globes, ou encore deux Grammys Awards. En amont de sa sortie française en novembre 1990, La Petite Sirène est également présenté hors compétition au Festival de Cannes.

L'engouement autour du film est tel que Disney décide de tout donner pour capitaliser un maximum sur sa nouvelle poule aux oeufs d'or. Six mois tout juste après la sortie domestique du film, celui-ci est distribué au format physique, ce qui est loin d'être une habitude, le studio préférant généralement miser sur les ressorties en salles pour maximiser les profits.

 

La Petite Sirène : photo"Money Money Money"

 

Mais les financiers de Mickey croient dur comme fer au potentiel mercantile de la VHS, et une fois de plus, le pari est promptement rentabilisé. En un mois seulement, sept millions de cassettes sont vendues, et avec le temps, la vente de s vidéos et autre merchandising permettent à La Petite Sirène de gonfler ses recettes jusqu'au milliard de dollars (ajusté à inflation). Fort de ce succès, Disney réédite une nouvelle VHS en 1998 laquelle s'est vendue à quelques treize millions d'exemplaires supplémentaires.

En plus de toutes ces ventes, le studio ne lésine pas sur les projets dérivés. Aussi, le film original a eu droit à neuf jeux vidéos dédiés, une série préquelle développée par la chaîne CBS en 1992, une suite en 2000 intitulée La Petite Sirène 2 : Retour à l'océan, une autre aventure préquelle, Le Secret de la Petite Sirène, en 2008, un projet de réadaptation 3D en 2013 (lequel a finalement été avorté), et enfin, le fameux remake porté par Halle Bailey, impulsé depuis 2016.

 

La Petite Sirène : photoLe zirgouflex du succès

 

Somme toute, La Petite Sirène a été le défi risqué qui a remis toutes les embarcations à flot. Plus que le film qui a sauvé l'animation du studio, il est également celui auquel le géant doit son statut de colosse multimédia. Actuellement le premier groupe de divertissement au monde depuis 2012, la souris a eu l'occasion de racheter moult groupes et actions depuis la fameuse "renaissance" : Pixar en 2006, Marvel en 2009, Lucasfilm en 2012, ou encore la 20th Century Fox, dont le rachat fut finalisé en 2019.

Est-ce donc la faute d'Ariel si aujourd'hui, Disney est à deux doigts de dominer le monde ? Un peu, oui.

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Birdy l'inquisiteur
Birdy l'inquisiteur
il y a 2 années

Et depuis… Ils ont bouffé Marvel, Star Wars, la Fox, et Pixar.
Foutue sirène.

Ozymandias
Ozymandias
il y a 2 années

Merci pour cet article très intéressant !