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Training Day : quand Denzel Washington sauvait la carrière d’Antoine Fuqua

Par marvin-montes
11 mai 2023
MAJ : 24 mai 2024
Training Day : photo, Denzel Washington, Ethan Hawke

De série B efficace à polar culte il n'y a qu'un pas, franchi grâce à la performance miraculeuse du grand Denzel.

Une performance, aussi brillante soit-elle, peut-elle transcender seule une oeuvre à priori oubliable ? À la vision de Denzel Washington qui fait entrer cette série B certes efficace, mais convenue dans la cour des oeuvres cultes.

 

Training Day : photo, Denzel Washington, Ethan HawkeBack to training

 

Propaganda

À l'orée des années 2000, la carrière d'Antoine Fuqua est déjà en sursis. Issu d'un milieu modeste, et grandissant dans le ghetto de Pittsburgh en Pennsylvanie, le jeune Antoine se destine à une carrière d'ingénieur, avec l'espoir de placer un jour ses compétences au service de l'aviation américaine. Pourtant, sa fascination juvénile pour les oeuvres d'Akira Kurosawa et de son scénariste récurrent Shinobu Ashimoto le pousse sur la voie de la réalisation.

À partir des années 90, Fuqua fait ses armes chez Propaganda Films, aux côtés de la future garde dominante des cinéastes américains, comprenant évidemment David Fincher, Michael Bay ou encore Spike Jonze. Parmi ses multiples crédits de réalisateur de clips vidéos (notamment pour Prince et Toni Braxton), c'est son illustration du titre Gangsta's Paradise de Coolio — employé pour la promotion du long-métrage Esprits Rebelles avec Michelle Pfeiffer — qui s'avère la plus remarquée, lui ouvrant directement la voie vers le grand écran.

 

Esprits Rebelles : photo, Coolio, Michelle PfeifferAntoine Fuqua's origins

 

Malheureusement, les deux premiers essais du réalisateur ne sont pas des plus concluants (au contraire de ceux de ses collègues de Propaganda, qui investissent rapidement et avec succès le circuit hollywoodien). En effet, Un Tueur pour cible — timide tentative d'importation de la légende de Hong Kong Chow Yun-fat sur le sol américain — et la comédie d'action Bait ne marquent pas les esprits (même si le premier cité ne démérite pas au Box-Office).

Pour éviter de se perdre définitivement dans le tout-venant du septième art, Antoine Fuqua doit donc faire de son troisième projet un succès. Pourtant, Training Day, polar d'action écrit par le natif de la cité des anges David Ayer ne semble, au premier abord, pas porter le potentiel de ces oeuvres qui forgent des carrières. Malgré tout, la détermination et le vécu de chacun, associés à un contexte sociétal largement favorable, vont permettre au miracle d'opérer.

 

Training Day : photoIllustration de la pression hollywoodienne

 

C'est rien c'est la rue

À la fin des années 90, le scandale de Rampart explose à la face des autorités californiennes. Cette affaire de corruption policière sans précédent place 70 officiers de la police de Los Angeles sous le coup d'une enquête interne pour des chefs d'accusation divers et variés, tels que la falsification de preuves, le vol et l'usage répété de narcotiques ou encore le braquage de banque. Dans le même temps, le scénariste David Ayer, grand habitué des rues de South central (situé à quelques encablures du terrain de chasse de la division Rampart), tente de trouver preneur pour son script nourri par les violences policières dont il est le témoin régulier.

L'émergence de l'affaire Rampart pousse Denzel Washington à s'intéresser au scénario d'Ayer. L'acteur voit en effet en Rafael Perez — vétéran du LAPD et figure centrale du scandale — une source d'inspiration intarissable pour un futur personnage de flic sans foi ni loi. Washington encourage Warner Bros à mettre une option sur le script de Training Day et très vite, la compagnie de production organise une rencontre entre David Ayer et Antoine Fuqua, qui bénéficie là d'une dernière cartouche. Alors que la corruption des forces de l'ordre est sur toutes les lèvres, la machine est lancée.

 

Training Day : photo, Denzel Washington, Ethan HawkeInspiré de faits réels

 

Training Day plonge donc au coeur du quotidien de la police de Los Angeles, plus particulièrement de la brigade des stupéfiants. Le film narre la première journée dans la division de Jake Hoyt, nouvelle recrue idéaliste. Se destinant à une carrière d'inspecteur, le jeune policier est mis à l'essai durant 24 heures (le fameux Training Day) par une véritable star de la lutte anti-drogue, le sergent Alonzo Harris, monstre de charisme craint aussi bien par les gangs que par ses propres collègues.

À mesure que la journée avance, les convictions nobles de Hoyt ne vont cesser d'entrer en collision avec les méthodes peu orthodoxes d'Alonzo, jusqu'au point où la frontière entre policier héroïque et criminel sans remords ne semblera plus exister. La note d'intention de scénario est on ne peut plus claire, en s'articulant autour de dilemmes moraux évidents, confrontant l'idéalisme de la vocation à la réalité du terrain, et de ses débordements. Faut-il vraiment être un loup pour traquer un loup ? C'est en tout cas ce qu'affirme le sergent Harris.

 

Training Day : photo, Denzel Washington, Ethan HawkeLa journée va être longue

 

Nous pourrons affirmer sans prendre un grand risque qu'Antoine Fuqua n'est certainement pas le cinéaste le plus talentueux qu'il nous ait été donné de voir. Plutôt reconnu pour son efficacité clinquante et toujours soigneusement ancrée dans l'air du temps, le réalisateur marque assez peu la pellicule de son empreinte, d'un film d'action musclé à l'autre. Pourtant, c'est en plongeant au coeur de ses limites, et par son incapacité à opter pour une direction franche, que Fuqua parvient à produire dans Training Day une dissonance esthétique et narrative remarquable.

À l'image de son duo de protagonistes principaux, le long-métrage semble être sans cesse engagé dans une lutte intestine entre deux visions drastiquement opposées, entre le film qu'il voudrait être et celui qu'il est réellement. David Ayer l'a toujours affirmé : les influences majeures de Training Day sont à chercher du côté du nouvel Hollywood ou de ses descendants, et notamment chez le Sidney Lumet de Serpico et du Prince de New York

Pourtant, la mise en scène de Fuqua se situe à l'opposé de ce spectre, solidement engoncée dans un modernisme clippesque lorgnant clairement vers les habitudes de la génération Propaganda. Nous garderons en tête ce travelling circulaire entourant la mise en joue de Hoyt par Alonzo, que l'on pourrait imaginer tout droit sorti du Bad Boys de Michael Bay.

 

Training Day : photo, Denzel WashingtonC'est à quelle heure la pause ?

 

De la même manière, la recherche d'authenticité poussée du film est sans cesse désamorcée par un surréalisme que l'on ne saurait définir comme volontaire. Pour Fuqua et Ayer, aucune concession n'était possible sur la crédibilité des environnements filmés. L'équipe du film s'est donc retrouvée — grâce au soutien de quelques "consultants" — à opérer dans le quartier d'Imperial Courts, en plein territoire des gangs (certains membres des Crips, les criminels locaux, apparaissent d'ailleurs à l'écran). Le réalisateur et le scénariste, tout deux dotés d'une certaine expérience de la rue, tenaient de cette manière à ne pas tricher avec la réalité, en impliquant directement les premiers concernés dans le processus.

Force est de reconnaitre que le résultat final n'est probablement pas celui escompté. L'unité temporelle du film (étalée sur une seule journée, de l'aube au crépuscule), plonge le récit dans une dilatation hypnotique, renforcée par la prise involontaire de LSD par Hoyt en début de métrage. Même constat quant à la romantisation permanente de la criminalité opérée par la caméra de Fuqua, explosant au moment de montrer un quartier retiré, inaccessible aux forces de l'ordre, et régenté par des figures tutélaires invisibles. Une sorte de société parallèle, à l'aura quasi mystique uniquement percée par Alonzo et sa morale volatile.

Difficile de déterminer où se situe la volonté du réalisateur dans cette autoconfrontation permanente, mais la charmante dissonance entre naturalisme impossible et esthétique gentiment baroque confère finalement à Training Day les atouts d'une ambiance plutôt personnelle, à laquelle il est facile de succomber.

 

Training Day : photoLes princes de la ville

 

King Denzel

Enfin, impossible d'évoquer Training Day sans revenir sur son attraction principale. Souvent cantonné à l'interprétation de la droiture incarnée, Denzel Washington trouve dans le personnage d'Alonzo Harris le véhicule parfait pour ses ambitions. Tour à tour sympathique, exalté, hors de tout contrôle ou carrément inquiétant, l'acteur libéré de toute entrave en fait des caisses avec un enthousiasme désarmant, quitte à ne laisser que des miettes à ses malheureux compagnons de casting, incapables de rivaliser une seule seconde avec la présence d'Alonzo Harris.

Certes, le pauvre Ethan Hawke se voit limité à une fonction d'identification que l'on oubliera vite, mais comment bouder son plaisir devant la roue libre absolue de Denzel dans un rôle manifestement taillé pour lui ? L'interprète d'Alonzo avance comme un symbole d'implacabilité déviante, le sourire aux lèvres face au danger, et la démarche aussi exagérée que ses envolées poétiques absurdes. Plus qu'une étape, le rôle du sergent Harris est la figure matricielle du rayonnement pop culturel de Washington, sorte d'incarnation ambivalente de la folie sûre d'elle. Voilà un oscar du meilleur acteur qui ne sera pas volé.

 

Training Day : photo, Denzel WashingtonLe film, c'est lui.

 

Étrange bilan à effectuer que celui du troisième film d'Antoine Fuqua. Pétri de maladresses autant que de qualités, Training Day ressemble toujours à un train sans conducteur qui parviendrait miraculeusement à revenir sur les rails de la réussite sans que l'on ne comprenne vraiment comment. Surréaliste contre son gré, hypnotique sans le vouloir, le film ne doit peut-être son salut final qu'à la performance enflammée de sa tête de gondole, impliquée comme jamais.

En début d'article, nous évoquions la possibilité de voir une oeuvre portée par une seule performance. Force est de constater qu'en retirant le facteur Alonzo Harris de l'équation, le château de cartes risquerait de rapidement s'écrouler. Mais peut-être que l'interrogation n'est pas la bonne. Peut-être que la mise en place d'une interprétation aussi improbable et grotesque que flamboyante nécessitait la mise en retrait de tous les éléments susceptibles de la parasiter, quitte à jeter au feu toute notion d'équilibre. Alors oui, Alonzo Harris est bien trop grand pour le film dans lequel il s'illustre, mais si Training Day était un one-man-show, nous serions assis au premier rang, encore et encore.

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Mx
Mx
il y a 2 années

Oui, d’ailleurs, j’ai pas compris pk ecran large, et personne en com n’a cité STREET KINGS dans le dossier « les 10 meilleurs rôles de keanu reeves », pour ma part, il mérite de figurer dans cette liste!!!

The Moon
The Moon
il y a 2 années

@M.X. + 1 pour streetking qui s’inspire de l’ambiance de la série TheShield…

Satan LaBitt
Satan LaBitt
il y a 2 années

« un des meilleurs films du siecle », mais LOL quoi, t’as quel age gamin pour dire ça ? tu connais quoi au cinéma ??

Mx
Mx
il y a 2 années

« merde sur pellicule », training day?!!!

Je crois pas, non…

En effet, c’est à mes yeux le fuqua le plus réussi, et quelle performance de denzel, l’un de ses rôles les plus cultes ,avec man on fire, du père scott.

Le reste du cast ne démérite pas, ethan hawke très bon, scott glenn, tom berenger, dr dree, nick chinlund, le toujours imposant cliff curtis, oui, un excellent film, un excellent duo!!

Ayer réalisera quelques années plus tard STREET KINGS, au bout de la nuit, par chez nous, un excellent film avec keanu reeves trop sous-estimé!!!!

Morcar
Morcar
il y a 2 années

Je n’ai rien contre Antoine Fuqua, mais « Trainning Day » est pour moi le seul vrai bon film du réalisateur. Il a signé plusieurs films sympathiques, sans plus, mais celui-là est vraiment très très bon ! Un excellent duo à l’écran, et une bonne mise en scène.

Sélène
Sélène
il y a 2 années

tout simplement un des meilleur film du siècle. grand classique drame policier.

sylvinception
sylvinception
il y a 2 années

C’est à propos de Dark Blue il me semble, que James Ellroy avait inventé le terme de « merde sur pellicule » pour décrire un film. Toujours d’après mes souvenirs, il n’était pas loin de penser la même chose de « Training Day »… et il avait bien raison.