11 ans avant Will Ferrell déchaîné.
Curieuse trajectoire de carrière que celle empruntée par Adam McKay. D'abord acolyte récurrent de Michael Moore dans l'émission L'Amérique de Michael Moore : l'incroyable vérité, le futur réalisateur accède à une certaine popularité en devenant le scénariste en chef du fameux Saturday Night Live de NBC à partir de 1995. Déjà, McKay navigue entre absurde absolu et dénonciation satirique, notamment au travers de sa collaboration avec Will Ferrell, qu'il érige en tant que parodie récurrente de la présidence des États-Unis.
À partir de 2001, et dans la foulée du succès de son premier long-métrage Présentateur vedette : la légende de Ron Burgundy, McKay s'impose sans mal – aux côtés de notamment Judd Apatow – comme l'un des auteurs les plus prometteurs de la nouvelle comédie américaine. Mais derrière ses films au premier abord furieusement potaches se dissimule une véritable sensibilité sociale : Présentateur vedette traitait en creux de la parité homme/femme dans le milieu télévisuel, sa suite des dérives de l'info en continu, tandis que Ricky Bobby : roi du circuit s'attaquait directement au terreau du conversatisme présent dans les coulisses du Nascar.
Le changement de braquet du réalisateur sera d'autant plus évident à partir de la doublette constituée par The big short et Vice, qui mènera à l'exclusivité Netflix de 2021 Don't look up, tirant à boulets rouges (et de manière parfois un peu désuète) sur les inactions gouvernementales face au réchauffement climatique. Mais même s'il serait simple de réduire le renversement politique plus assumé de McKay à la sortie de The big short, la mue a peut-être opéré un peu plus tôt, avec Légendes vivantes, mais surtout Very bad cops, pastiche de buddy-movie au discours franchement incisif, quelque part entre l'innocente drôlerie de Frangins malgré eux et l'absurde acidité de Vice.
Oh vous savez, moi, la politique...
Bad Boys, Bad Boys
Very bad cops situe son intrigue dans la jungle urbaine de New York, une grosse pomme qui peut dormir sur ses deux oreilles, bien protégée par le duo de superflics composé par les agents Danson et Highsmith (formidable association Samuel L. Jackson-Dwayne Johnson), inarrêtable au prix de quelques menus dommages collatéraux. Mais lorsque le duo de policiers disparait des radars, la place de binôme vedette devient vacante, et de nombreux flics new-yorkais tentent de se l'approprier.
À l'écart des hommes d'action s'écharpant autour de la lumière, le duo formé par Gamble et Hoitz peut difficilement prétendre à la gloire. Ils sont simplement "les autres" (d'où le titre original du métrage, The other guys, bien plus efficace que sa VF approximative). Allen Gamble est un juriste dans l'âme, ionné par le travail istratif et angoissé par les fusillades. Terry Hoitz est, de son côté, une tête brulée blacklistée depuis un incident impliquant une star du Base-Ball. Contre toute attente, la curiosité maladive de Gamble et une enquête en apparence anodine tournant autour de permis d'échafaudages abusifs placent le binôme sur la voie d'une arnaque de grande ampleur.
Adam McKay le sait : un pastiche correctement exécuté doit avant tout afficher son respect à l'égard du matériau dont il s'inspire. Pas question ici, comme précédemment, de se livrer à une parodie policière au rabais : Ricky Bobby présentait des séquences de courses convaincantes, les scènes d'action de Very bad cops sont bâties sur la même dynamique. Les ficelles de la comédie ne doivent pas pâtir d'une fabrication sacrifiée, et l'introduction jouissive flirte sans aucun complexe avec l'imagerie Bayienne de Bad Boys 2 sans jamais s'en moquer, avec l'énergie d'un Hot Fuzz sous stéroïdes.
Le même constat est à effectuer autour de la progression narrative du film, qui reprend à son compte les tropes du buddy movie pour les étirer avec une certaine finesse, accrochant des instants de pur comique irrésistibles (difficile de rester de marbre devant la bagarre silencieuse de la veillée funèbre, ou devant les joutes verbales opposant les deux membres du binôme dysfonctionnel, qui renverraient Martin Riggs et Roger Murtaugh au statut de vieux couple tranquille).
Et comme dans tout bon buddy movie qui se respecte, il est bien question de duo à la dynamique évolutive. Force est de constater que celui formé par Mark Wahlberg et Will Ferrell fonctionne à la perfection. La construction archétypale des deux personnages principaux offre à ses interprètes, bénéficiant de la pleine confiance du réalisateur, un terrain de jeu au potentiel inusable.
Ferrell, collaborateur de longue date de McKay et orfèvre de l'improvisation, semble être placé dans les meilleures conditions possibles pour délivrer sa science du gag et du quiproquo, bien aidé par son protagoniste à la sensibilité justifiée par un if absolument grotesque (Allen semble bénéficier d'un improbable succès auprès de la gent féminine, et il y a une explication).
Dans la continuité de ce registre burlesque, Mark Wahlberg fait figure de surprise que l'on n'attendait pas. Totalement en phase avec Ferrell, quatre ans après une prestation dans Les infiltrés qui donnait déjà un bel aperçu de ses capacités comiques (bien que plus grinçantes chez Scorsese), Marky Mark n'hésite pas à se jouer de sa propre image de star d'action un tantinet bancale, pour donner à son personnage une aura de macho sensible ridiculement réjouissante. Une prestation finalement assez marquante, qui préfigure pour l'acteur un solide arc autodérisoire, s'étendant de Ted à Very bad dads, en ant par le (très) réussi No pain no gain.
On assiste donc à un enchainement ininterrompu d'éléments classiques du buddy movie brillamment digérés, ant d'un exercice de bon flic-mauvais flic qui dégénère rapidement à l'inévitable beuverie réconciliatrice, présentée ici de manière déraisonnablement graphique. Mais au-delà de la prestation de son duo central, Very bad Cops doit aussi sa réussite à un petit contingent de seconds rôles parfaitement employés, et toujours intégrés avec cohérence dans le modèle du pastiche cher à McKay.
Nous avons déjà évoqué le duo de superflics porté par Samuel L. Jackson et Dwayne Johnson, à qui la notoriété et un certain sentiment d'invincibilité finiront par jouer des tours. Difficile également de er outre la prestation de Michael Keaton, commissaire blasé dans la plus pure tradition du polar d'action la semaine, et manager d'un magasin de bricolage le week-end (oui oui). Enfin, voir Eva Mendes surjouer d'attributs physiques totalement inappropriés à l'écriture de son personnage ajoute, pour le meilleur, à la bizarrerie ambiante.
ça fait réfléchir
Derrière son emballage absurde et sa recherche quasi permanente du gag parfait, Very bad cops dissimule finalement son secret le mieux gardé : le sérieux avec lequel le film traite sa forme, mais aussi le fond de son propos. Car Adam McKay n'est pas qu'un auteur et directeur d'acteurs très efficace, c'est aussi un réalisateur solide, qui affine sa mise en scène à chaque occasion. Le cinéaste, qui assume pleinement son rôle, étrenne d'ailleurs dans son buddy movie certains des gimmicks qui feront sa particularité au cours de ses travaux ultérieurs.
À l'opposé de ses contemporains Judd Apatow ou Paul Feig, loin d'être de grands formalistes, McKay ne s'abandonne jamais au classicisme et renforce sans cesse son tempo comique par un sens de l'esthétique ultra efficace. Loin des séquences d'action, c'est plutôt au cours de scènes de dialogues que le réalisateur semble prendre plaisir à instaurer une dynamique prise sur le vif, en libérant sa caméra sans se priver d'ab du gros plan. Cette dissonance picturale, apportant une urgence de tous les instants, se retrouvera au long des joutes verbales ciselées de The big short ou Vice, mais aussi de la série Succession, dont il est producteur exécutif et réalisateur du pilote.
Ensuite, Adam McKay ne se contente pas de faire rire. Depuis ses années SNL, le réalisateur-scénariste-producteur met un point d'honneur à placer son génie comique au service d'un discours de fond, délivré avec une évidence progressive. Pas toujours simple à discerner au cours de ses productions précédentes, la satire sociétale est larvée durant tout le déroulement de Very bad cops, pour enfin prendre toute la place au cours du générique de fin, qui se permet le luxe d'exposer à coups de graphiques les méfaits du capitalisme sur fond de Rage against the machine. Pas nécessairement subtil, mais suffisant pour remettre en perspective l'ensemble de l'intrigue du film, qui se révèle finalement bien plus qu'une gigantesque blague.
The big short, et son récit sans concessions de la crise des subprimes, enfoncera le clou cinq années plus tard, avant que Vice ne questionne directement les ravages de l'impérialisme américain et leurs répercussions au quotidien. Mais à la lumière des derniers travaux de McKay, et de son aspect partisan ouvertement porté en étendard, il convient de revoir Very bad cops avec un oeil neuf, attentif à la forme, mais surtout au fond, pertinemment dissimulé dans un océan d'absurdités.
Il serait d'autant plus dommage d'ignorer une si équilibrée leçon de pastiche, dotée d'autant de recul que de tendresse envers le genre qu'elle aborde. Probablement desservi par un certain mépris critique et public à l'encontre de la comédie US — et sans doute par son horrible titre français — Very bad cops (ou disons, The other guys) peut pourtant se targuer, à l'instar d'un The Nice Guys plus apaisé, de faire partie des derniers grands représentants du buddy movie à l'américaine. Ni plus ni moins.
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J’adore ce film, sa version longue rallonge quelques scènes énormes comme la voiture retrouvée par l’équipe scientifique ou la mamie qui doit faire er les mots d’amour entre sa fille et son gendre. Mon préféré de Will Ferrell.
Excellente comédie. « Ta gueule! » . ^^
Excellent paradoxe « bon mauvais film » ou « mauvais bon film ». En revisionne toujours des bouts avec plaisir quand il e à la télé.