Films

Complots : Julia Roberts et Mel Gibson contre les reptiliens

Par Judith Beauvallet
12 mars 2023
MAJ : 20 novembre 2024
Complots : photo, Mel Gibson, Julia Robert

Sorti en 1997, le film de Richard Donner interroge avec humour et brio la légitimité des théories du complot.

Période post-Covid oblige, de nos jours, c’est la foire aux théories du complot et aux croyances farfelues sur les internets. En préambule de ce dossier, il sera donc utile de rappeler avant toute chose que la Terre est ronde et que les reptiliens n’existent pas. Ces précautions prises, il est temps de revenir sur un film aujourd’hui trop oublié, dans lequel un complotiste paranoïaque finit, à force de voir le mal partout, par mettre le doigt sur une véritable conspiration. Il s’agit du film sobrement intitulé L'Arme fatale. Un metteur en scène habitué au meilleur du divertissement grand public, qui jongle aisément avec les tons et les univers.

Complots, sorti en 1997, n’échappe pas à cette règle. Mieux : il en est la quintessence, au croisement virtuose d'un thriller angoissant et d'une comédie romantique. À son affiche, deux monstres du cinéma des années 90 : Julia Roberts. Comment filmer les délires (en l’occurrence légitimes) d’un complotiste sans faire un film complotiste ? Comment faire d’un harceleur un héros positif ? C'est le pari de Donner, qui réussit tout ce qu’il entreprend, et qui réalise avec Complots le film prouvant que oui, on peut encore tout dire, tant qu’on le dit bien.

 

Complots : photo, Mel GibsonLa Terre est-elle plate ou bien gazeuse ?

 

le pire héros du monde

Avec son rythme soutenu et ses multiples pointes d’humour, Complots entraîne tellement son spectateur que celui-ci pourrait presque en oublier de prendre du recul sur la trame du film. Une trame selon laquelle Mel Gibson, alias Jerry Fletcher, est à la fois le héros et aussi un complotiste de la pire espèce qui, par-dessus le marché, harcèle et épie la femme qui lui plaît. Soucieux d’alerter qui voudra bien l’écouter sur toutes ses théories conspirationnistes farfelues, il envoie chaque semaine à ses quelques abonnés une newsletter faite d’articles découpés dans des journaux censés prouver qu’“ils” mentent. Sur tout.

Après les délires post-pandémie à base de 5G cachée dans un vaccin, chacun peut se figurer ce à quoi un Jerry Fletcher d’aujourd’hui ressemblerait s’il était lâché sur Twitter (ou pire : Facebook). Chez lui, tout est cadenassé, même la nourriture du frigo dans lequel chaque aliment a son propre cadenas à code. Mais tout ça n’est encore rien en comparaison de l’obsession que Jerry voue à Alice Sutton, une jeune avocate incarnée par Julia Roberts.

En plus de forcer l’accès à son bureau tous les quatre matins pour lui exposer ses soupçons conspirationnistes, il l’espionne aussi lorsqu’elle est chez elle. Cette scène en particulier est délicate : Jerry est tapi dans son taxi, garé près de l’appartement d’Alice. Celle-ci entreprend de faire de l’exercice sur un tapis de course, et Jerry dégaine ses jumelles pour l’observer. Voyant qu’elle chantonne, il cherche à la radio la station qu’elle est en train d’écouter afin de pouvoir apprécier la musique “avec elle”.

 

Complots : photo, Mel GibsonÀ ne pas reproduire chez vous

 

Alors qu’il chante donc Can’t Take my Eyes off You – titre particulièrement adéquat – en même temps qu’elle, la caméra épouse la vision des jumelles et zoome progressivement sur le visage d’Alice, tandis que la musique englobe de romantisme et de poésie cette pure scène de voyeurisme. Horrible procédé qui enjolive un comportement de dangereux harceleur ? Il semblerait. Pourtant, il n’en est rien, comme on l’expliquera plus tard.

Un jour, Jerry parvient à mettre le doigt sur un véritable complot, et de là, va s’attirer les foudres des comploteurs en question et de son ancien bourreau, le méchant docteur Jonas, interprété par Patrick Stewart. Petit à petit et à force d’insistance, il finit par convaincre Alice qu’il a raison, et l’entraîne dans la spirale infernale d’une histoire qui la concerne beaucoup plus qu’elle ne le pense. Évidemment, elle finira aussi par tomber amoureuse de lui au age.

 

Complots : photo, Julia RobertsJulia derrière les barreaux

 

Jerry a un comportement toujours plus inapproprié, des demandes toujours plus déraisonnables, des convictions toujours plus absurdes. Mais à chaque fois, le scénario lui donne raison, et la pauvre Alice e son temps à tomber des nues devant le fait que son complotiste de harceleur est dans le vrai.

Jerry Fletcher est de toute évidence un personnage dont le point de vue pourrait être difficile à assumer pour un film dont le ton ne se veut ni ambigu, ni conspirationniste, ni sordide. Il ne fait aucun doute que le metteur en scène a de la tendresse pour son personnage, et qu’il tient à raconter l’histoire à travers ses ressentis. Pourtant, il reste, à l’humble avis de la personne qui écrit ces lignes, parfait dans ce qu’il dit et la manière dont il le dit, en évitant les pires écueils. Comment s’y prend-il ?

 

Complots : photo, Julia Robert, Mel GibsonJerry-squé ma vie

 

Le secret est dans la sauce

Tout est dans l’habileté du ton que Donner imprime au film. Pour chaque moment où Jerry parvient à faire quelque chose de bien de la mauvaise manière, le personnage d’Alice agit comme un contrepoids qui lui fait réaliser la gravité des choses. C’est notamment le cas lorsqu’elle le jette en dehors de chez elle parce qu’elle comprend qu’il a pour habitude de l’observer par la fenêtre. Une séquence qui remet les pendules à l’heure de la romantisation du voyeurisme vu précédemment, sans pour autant nier la sincérité de l’amour que Jerry voue à Alice.

Des gags de situation mettent aussi de la distance entre la bonne cause de Jerry et ses comportements agressifs, comme dans la scène qui se e dans le hall du Palais de Justice où l’antihéros menace les gardes et Alice avec un pistolet. Jerry finit par s’endormir en position fœtale sur les genoux d’Alice, ce qui le ridiculise juste ce qu’il faut dans son agressivité tout en introduisant la grande détresse et la vulnérabilité du personnage.

 

Complots : photo, Julia Roberts, Mel GibsonJerry-dicule

 

Car malgré son atmosphère souvent empreinte de légèreté, Complots traite de thèmes aussi sombres que la torture, le syndrome post-traumatique et la folie. Au fur et à mesure que le nœud de l’histoire se démêle, il est dit que Jerry a souffert par le é de lavage de cerveau et de toutes sortes de violences aux mains du docteur Jonas, ce qui a conditionné ses troubles actuels. En écrivant un personnage fou aussi riche et humain, le scénariste Brian Helgeland permet un regard compréhensif sans être complaisant sur les problèmes que peut poser ou rencontrer une personne inadéquate à la société.

Une séquence comme celle où Jerry est capturé par Jonas et ligoté à un fauteuil roulant, les paupières scotchées vers le haut pendant qu’on lui injecte une drogue (“la sauce”), est très représentative de la maestria du film. En même temps que des gros plans sur ses yeux exorbités, la lumière stroboscopique fait ressentir son état de stress et l’urgence de la situation. Le montage mêle à tout ça des extraits de dessins animés qui ent par la tête de Jerry, et le fameux air de Can’t Take my Eyes Off You qui lui donne du courage.

 

Complots : photo, Mel GibsonJerry-ien demandé

 

C’est une habile manière de mettre en scène la confusion de son esprit sans la dramatiser artificiellement. Jerry se libère en mordant le nez de Jonas, et s’en suit une course-poursuite pendant laquelle il s’échappe tant bien que mal, les yeux toujours scotchés en position ouverte, en faisant rouler son fauteuil comme possible. La séquence est à la fois drôle de par le ridicule de la situation et horrible dans ce qu’elle raconte, trouvant le ton juste pour faire comprendre le fonctionnement de l’esprit de Jerry.

Plus l’histoire avance et plus le spectateur pourra s’identifier au personnage d’Alice, qui elle aussi, au fur et à mesure, va comprendre la manière dont fonctionne Jerry et va pouvoir recoller les pièces du puzzle. Elle fait office d'intermédiaire entre l’esprit de Jerry et la narration du film, comme lorsqu’elle cherche son acolyte dans l’étage désaffecté d’un hôpital et qu’elle identifie d’où vient le leitmotiv de Jerry “Geronimo”, ou qu’elle lui parle à travers un conduit d’aération et essaye de lui faire dire où il se trouve. Le conduit d’aération agit, à ce stade, comme une métaphore du chemin tortueux de l’esprit de Jerry, auquel Alice a désormais un accès privilégié.

 

Complots : photo, Julia RobertsAlice au pays des complots

 

Par ailleurs, la preuve ultime que le film ne véhicule aucune illusion sur la viabilité des comportements de Jerry, c’est la fin du film. Jerry semble être mort, et Alice est en plein deuil lorsqu’il est finalement révélé que son nouvel amoureux est encore en vie et qu’il reviendra vers elle lorsque la situation sera apaisée. Jerry la regarde de nouveau de loin, en secret, pendant qu’elle fait de l’équitation.

Mais cette fois-ci il lui fait parvenir un indice lui faisant comprendre qu’il est encore en vie et qu’il n’est pas loin : de cette manière, ce qui était du voyeurisme au début est désormais un amour secret partagé. Et pour arriver à ce résultat, Jerry en e littéralement par une pseudo-mort pour revenir libéré de ses démons, sans pour autant être une autre personne. Pour preuve : il conclut le film en chantant Can’t Take my Eyes Off You. De quoi réserver un happy end à Jerry, mais pas au complotisme.

 

Complots : photo, Mel GibsonJerry-gole plus du tout 

 

DE L’EAU DANS LE JAZZ

Au-delà de l’utilisation intradiégétique du fameux tube de Frankie Valli, Complots s’appuie très largement sur sa bande originale pour faire fonctionner ce fameux ton tout en nuances, et pour relier le meilleur du thriller et le meilleur de la comédie romantique. Dans un film qui est raconté à travers les yeux d’un personnage dont la parole est toujours en dissonance avec la réalité de son entourage, la musique agit comme médiateur pour le spectateur.

La musique est signée par le génial Carter Burwell, devenu depuis le compositeur fétiche des frères Coen et de Martin McDonagh dont le cinéma est en partie héritier de films tels que Complots. Les mélodies de cuivres rythmées qui rappellent le swing accompagnant les moments où l’esprit de Jerry s’emballe et se met à voir des complots partout. On en entend dans la séquence d’ouverture qui montre Jerry au volant de son taxi la nuit, dans les rues de New York.

 

Complots : photoLe film est avec Mel Gibson et Julia Roberts, au cas vous n'auriez pas compris

 

Il enchaîne les clients en leur débitant ses théories sans prendre le temps de respirer. Une scène au look incomparable, avec les noms du générique qui défilent sur les vitres de la voiture comme les néons d’enseignes lumineuses. La musique entraînante épouse le montage qui fait défiler les clients du taxi de telle manière que Jerry ne se rend même plus compte de s’il parle réellement à quelqu’un ou pas.

Le même morceau donne aussi toute son identité à la séquence où Jerry découpe des journaux pour composer sa newsletter, qu’il tape à la machine. Il la photocopie, prépare les enveloppes, et enfin, les poste depuis différents endroits de la ville pour ne pas pouvoir être tracé. Là aussi, le montage rythme une séquence qui pourrait être pleine de gravité et de suspens, et la musique mime l’agitation de Jerry tout en y apportant de la légèreté.

 

Complots : photo, Mel GibsonJerry... Rafferty

 

La séquence se termine avec le thème principal du film qui, lui, ne rappelle pas du tout du jazz, mais porte une sorte de souffle d’espoir qui redonnerait le sourire au plus dépressif des rats morts. Et ce n’est pas un hasard, parce que ce age musical correspond au moment où Jerry monte les marches du Palais de Justice pour rendre visite à Alice, son grand amour qui va le porter au travers des épreuves du film.

Et, logiquement, on retrouve ce thème dans toute sa splendeur lors de la dernière séquence, lorsqu’Alice comprend que Jerry est encore vivant et qu’elle emmène son cheval galoper à travers champ. La partition de Burwell, associée à Cant Take My Eyes Off You raconte donc le parcours psychologique des personnages et les relie dans leur absence.

 

Complots : photo, Julia RobertsUn pin's super rare

 

Une maîtrise représentative d’un film dans lequel pas une image ni ligne de dialogue n’est en trop, où 100% de ce qui est montré sert à l’histoire ou à la caractérisation des personnages tout en donnant le sentiment d’une aisance et d’une respiration étonnantes dans la mise en scène. Caché dans la peau d’un thriller classique, Complots est en réalité bien plus que ça et gagne à être vu et revu aujourd’hui, tant sa modernité dans la forme et le propos reste un modèle d’excellent cinéma.

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Nono Gibson
Nono Gibson
il y a 2 années

Vu xxx fois ce film, j’adore. Du ciné d’orfèvre, chouette photo, des ages d’anthologie et un score pétaradant du compositeur attitré des frères Coen, Carter Burwell. Et le couple est ultra glamour et la chanson phare trop bien agencée et… bref, excellent. Hollywood avec un grand H.

alulu
alulu
il y a 2 années

Fox

Celui de Demme, celui avec Sinatra, j’avoue que j’ai abandonné le visionnage au tout début quand il est é sur Arte. Mais il bénéficie d’une bonne cote si je ne me trompe pas.

Fox
Fox
il y a 2 années

@alulu
Un Crime dans la Tête oui, mais lequel ?
Le Frankenheimer ou le Demme ?

Arnaud (le faux)
Arnaud (le faux)
il y a 2 années

@Arnaud (le vrai) toi tu es soit un mouton ou bien un agent, dans les deux cas tu es une grosse m*rd*.

alulu
alulu
il y a 2 années

Dans le genre, je préfère le mésestimé Un crime dans la tête. Complots, plaisant à mater mais sans plus.

Ray Peterson
Ray Peterson
il y a 2 années

Pourtant assez fan de Donner, ce Complots me fatigue au visionnage
Beaucoup trop de cabotinage, de bruits, de cut et d’invraisemblances.
La scène de torture de Mel Gibson (encore une) avec teinte rouge en fond
me fait sortir du film direct. La fin méga happy et la relation entre Jerry et Alice
sont trop too much pour moi. Après, les scènes d’actions sont quand mêmes bien
emballées (dans l’appart de Fletcher notamment). Un petit ouais pour le Dick.

Mx
Mx
il y a 2 années

Je garde aussi un excellent souvenir de ce film, mel gibson est génial, et son perso très attachant, roberts est toute mimi, et patrick stewart compose un excellen bad-guy.

un très bon crû donner/gibon!!!

Arnaud (le vrai)
Arnaud (le vrai)
il y a 2 années

Un film qui aurait une résonance très différente aujourd’hui entre les conneries balancées à propos des vaccins, la Terre plate qui gagne de plus en plus d’adeptes, les chemtrails, la guerre en Ukraine etc …
Jamais les adeptes des théories du complot n’ont été aussi bruyant que ces dernières années

Terminéator
Terminéator
il y a 2 années

J’adore ce film . On en fait plus des films comme ça .