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La Quatrième Dimension, le film : le projet maudit des Avengers du cinéma

Par Antoine Desrues
6 septembre 2022
MAJ : 21 mai 2024
La Quatrième Dimension, Le Film : photo

À série mythique, adaptation chaotique. Réhabilitons La Quatrième Dimension, le film, le projet fou de Spielberg, Miller, Dante et Landis.

Devoir se réapproprier la série mythique de Rod Serling, ce n’est pas facile. En plus d’avoir ouvert la porte à tout un pan de la science-fiction et du fantastique, La Quatrième Dimension s’est imposée comme un monument d’écriture et de noirceur s’attelant toujours à capter les tréfonds de l’âme humaine par le prisme de l’imaginaire.

Si cette création majeure est parvenue à avoir des héritiers dignes d’elle (Les Contes de la crypte, entre autres), ses réadaptations ont souvent peiné à convaincre, même lorsque Jordan Peele s’y est risqué.

Mais plus improbable encore, le film à sketchs tiré de la série, sorti en 1983, est plutôt tombé dans l’oubli malgré sa brochette hallucinante de réalisateurs : George Miller. Projet mineur ou projet maudit, telle est la question.

 

La Quatrième Dimension, Le Film : photo, John LithgowAttention, cauchemar de studio dans 3, 2, 1...

 

"La Dimension de l'imagination"

Malheureusement, quand on parle de La Quatrième Dimension, le film, c’est moins pour évoquer ses qualités que le drame qui a transformé sa production en pur cauchemar. Le premier segment, celui de John Landis, raconte comment un homme raciste et antisémite se retrouve transporté dans les heures les plus sombres du XXe siècle, entre une occupée par les nazis, un raid du Ku Klux Klan et une virée en pleine guerre du Vietnam.

Pour les besoins de ce troisième voyage dans le temps, Landis et ses équipes ont fait voler un hélicoptère tout près des comédiens, si bien que la sécurité du plateau a été mise en péril. Le 23 juillet 1982, l’hélicoptère s’est écrasé après avoir perdu le contrôle, tuant sur le coup l’acteur principal du segment, Vic Morrow, et deux enfants, Myca Dinh Le et Renee Shin-Yi Chen.

 

La Quatrième Dimension, Le Film : photo, Vic MorrowUn drame sans précédent à Hollywood

 

L’incident traumatique a obligé l’industrie à repenser ses protocoles de sécurité, et Landis a même eu droit à un procès pour homicide involontaire, accusation dont il a finalement été acquitté. Pour autant, il va sans dire que La Quatrième Dimension ne s’est jamais remis de cette tragédie et de l’aura mortifère qu’elle a jetée sur le long-métrage (accentuée par la fin en eau de boudin du premier sketch, rafistolé après la mort de Vic Morrow). Steven Spielberg, à la fois producteur et réalisateur, a is avoir tourné sa partie en à peine six jours parce qu’il était trop affecté par le drame.

Dommage, parce que la réécriture de l’épisode Jeux d’enfants était faite pour lui. Dans une maison de retraite, les occupants retrouvent soudainement leur jeunesse au d’un mystérieux vieil homme, qui leur propose une partie de "Kick the Can" (un jeu populaire durant la Grande Dépression). Avec ses jeux sur le contre-jour et la lumière diffuse, Spielberg dépeint le souvenir de l’enfance avec un sens du merveilleux qui n’appartient qu’à lui.

 

La Quatrième Dimension, Le Film : photoUn final d'autant plus amer

 

À la manière d’un brouillon de Hook, ce court-métrage condense pas mal des obsessions du cinéaste, à commencer par le besoin de grandir, et les risques d’un retour en arrière qui obligerait à subir de nouveau les soufs inhérentes à la vie.

Néanmoins, Kick the Can (le nom en VO du segment) est assez inconséquent, tant Spielberg use de ses tics de mise en scène – aussi géniaux soient-ils – sans y insuffler l’âme nécessaire pour émouvoir. Certes, on ne peut qu’être impressionné par la virtuosité habituelle du réalisateur (sa manière de capter des discussions de groupe en un seul plan dynamique) mais la dimension mélancolique de l’ensemble n’a pas la force dévastatrice de son modèle.

 

La Quatrième Dimension, Le Film : photoSpielberg, la force tranquille

 

Quatuor de maestros ?

À partir de là, on pourrait baisser les bras, et se dire que La Quatrième Dimension n’est qu’un rendez-vous manqué. Ce serait une grave erreur, étant donné qu’il ne fait que souffrir du problème inhérent aux films à sketchs : tous les segments ne se valent pas. Pas de bol, les deux premiers sont de loin les plus faibles, avant que Joe Dante et George Miller n’entrent dans la danse.

Dans le cas du réalisateur de Gremlins, réadapter l’épisode C'est une belle vie sonne tout de suite comme une évidence. Bien avant Tarantino, Joe Dante est à considérer comme l’un des grands cinéastes américains post-modernes. Nourri depuis qu’il est gamin au cinéma et à la télévision, ses films ne font pas que mettre en scène des personnages eux-mêmes abreuvés d’images. Il réinvestit ses propres référents, pot-pourri volontairement foutraque qui interroge une certaine idée du mimétisme culturel, comme dans Explorers avec son extraterrestre qui ne parle qu’en citations.

 

La Quatrième Dimension, Le Film : photoBlackbolt

 

Quoi de plus logique pour Dante que de pervertir cette donnée au travers d’un enfant aux pouvoirs démiurgiques, qui s’amuse à enfermer dans un univers proche du dessin animé les gens qu’il rencontre ? La candeur se transforme bien vite en cruauté, comme une approche méta de l’inventivité visuelle et narrative de la série de Rod Serling.

Dès la peinture d’une maison à l’architecture paradoxale, où les couloirs s’étendent de manière improbable, Dante impose un univers et la connexion de plans a priori immiscibles, au milieu de couleurs et d’effets de lumière qui assument leur artificialité. Les dimensions s’entrechoquent, des corps rentrent dans des télévisions, et le cinéaste prend un malin plaisir à transposer en live-action l'énergie cacophonique des Looney Tunes (jusqu’à créer un Bugs Bunny des enfers).

C’est d’autant plus attachant que Joe Dante a souvent filmé des créations hors de contrôle, pointant du doigt une irresponsabilité humaine qui ramène tout le monde au stade d'enfant sans repères, qu’il s’agisse de Gremlins ou de Small Soldiers. Ainsi, le réalisateur synthétise avec son segment son approche de la fable, dont les fins tragiques ou douces-amères ont toujours été au centre de La Quatrième Dimension.

 

La Quatrième Dimension, Le Film : photoDu Tim Burton en bien

 

Fury Plane

En réalité, le film confirme à quel point une adaptation dans les années 80 ne pouvait que condenser une époque profondément nourrie par l’héritage de Rod Serling, d’ailleurs évoquée dans une introduction méta où deux personnages listent leurs épisodes préférés de la série. C’est peut-être pour cette raison que la semi-déception provoquée par les parties de Landis et Spielberg a amoindri l’impact d’un projet pourtant central pour comprendre le cinéma des eighties, et sa façon d'embrasser la science-fiction, le fantastique, son ambiguïté, son efficacité narrative et son pouvoir d’évocation.

Heureusement, le film garde le meilleur pour la fin grâce à George Miller. L’auteur de la saga Mad Max a pourtant pris de sacrés risques, puisqu'il a choisi de réadapter l’un des épisodes les plus mythiques de la série : Cauchemar à 20 000 pieds, et son William Shatner terrifié à bord d’un avion saboté par ce qui semble être un Gremlin. Monument de tension, de gestion claustrophobe de l’espace et de paranoïa, ce postulat de départ est tout bonnement transcendé par le cinéaste australien, qui n’hésite pas à avoir recours à certains de ses effets kitsch pour rendre sa proposition encore plus viscérale.

 

La Quatrième Dimension, Le Film : photo, John LithgowQuand quelqu'un te dit qu'il n'aime pas Mad Max

 

Non seulement John Lithgow sue à grosses gouttes pendant toute la durée du court-métrage, mais Miller e son temps à surcharger ses plans, que ce soit par la présence d’obstacles au premier plan ou par les flashs permanents d’éclairs. Difficile de ne pas être absorbé comme le protagoniste dans ce tourbillon de terreur, où le doute et l’incompréhension provoquent petit à petit la folie, alors que la caméra se débulle.

George Miller confirme en très peu de temps toute sa minutie, en faisant de chaque personnage secondaire ou tertiaire un ressort scénaristique. Cauchemar à 20 000 pieds en devient un summum de suspense et d’agencement malin de ses péripéties, qui se plaît à rendre hommage au savoir-faire de la série matricielle tout en poussant dans ses retranchements ses possibilités visuelles.

 

La Quatrième Dimension, Le Film : photoTeigneux ces témoins de Jéhovah

 

S’il est connu pour la violence de son montage, capable à travers des choix extrêmes (comme l’emploi d’images subliminales) de traduire l’hystérie d’une situation d’urgence, le réalisateur progresse comme un joueur d’échecs, jusqu’à un plan-séquence brillant qui rassemble toutes les pièces du puzzle pour confronter dans un seul élan le regard du héros à celui des autres.

Après tout, le cinéma de Miller n’a jamais traité que de cela : de notre interprétation des images, des symboles qui nous entourent, et des signes auxquels on veut donner un sens quand la science ou la logique ne suffisent pas. L’aura mythologique de son œuvre est nourrie par cet isolement des individus, dont la pensée contraire à celle du système engendre leur ostracisme.

Tout d’abord, cette conclusion terrible est révélatrice de la peur profonde de la série originelle, dont les meilleurs épisodes ont souvent mis en scène une humanité paradoxale, qui a besoin de vivre en communauté tout en ne pouvant empêcher son autodestruction. Enfin, elle correspond parfaitement à la philosophie de George Miller, qui sauve presque à lui seul un projet maudit, dont le but était de rendre hommage à un chef-d'œuvre de la télévision grâce à la réappropriation d’auteurs biberonnés à ses images traumatiques. Le résultat est en demi-teinte, mais impossible de ne pas être fasciné par ses réussites.

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Ray Peterson
Ray Peterson
il y a 2 années

Un film qui a fait coulé beaucoup d’encre. de mémoire plus aux USA que chez nous.
A mon avis, la gnac de Landis, que l’on aime ou pas ce réal, s’est méchamment détériorée (et on peut le comprendre) suite à ce drame.

Cependant, les épisodes de Dante (punaiiiiise le travail de Bottin) et surtout celui de Miller, où sa caméra virevoltante est piégée dans une cabine d’avion, sont tout simplement à tomber.
Et oui, le Spielberg est pas terrible terrible.

Quant à Jerry Goldsmith. Que je t’aime à cette période!!!