Look Back, confession de deux artistes
Look Back c’est d’abord un manga one-shot de Tatsuki Fujimoto (Chainsaw Man, Fire Punch, Adieu Eri). Un auteur qui nous avait habitués à une grande exubérance, un goût pour l’absurde et la transgression. En 2021, il avait ainsi surpris son monde en dessinant une courte histoire d’amitié, plus intime et sentimentale. Un récit qui se révélera même presque autobiographique.
Alors en pleine pause dans la parution des chapitres de Chainsaw Man (son manga le plus populaire), Fujimoto profite de cette période pour s’échapper du rythme hebdomadaire intenable de Jump – le magazine pour lequel il dessine. Après un peu de repos, le mangaka se remet au travail, mais cette fois pour créer quelque chose de différent. Un manga sur lequel il peut consacrer plus de temps, tout en s’écartant de ses thèmes de prédilection.
Loin de la tornade (néanmoins géniale) de Chainsaw Man, il accouche alors de la douce brise Look Back. Une œuvre saluée par la critique et par ses confrères mangaka… qui inspire aujourd’hui un film d’une grande poésie.

Look Back étant l’œuvre la plus personnelle de Fujimoto, l’adapter pour le cinéma n’était pas simple. Mais Kiyotaka Oshiyama s’en est sorti plus qu’irablement. Car, sans doute, en tant qu’artiste, il a été touché par le sujet de Look Back. C’est lui qui est d’ailleurs à l’origine de cette entreprise d’adaptation – en ayant engagé les forces de son propre studio, Studio Durian. Pour Oshiyama, c’était un projet de cœur et il n’était pas question de sacrifier l’authenticité et l’âme de Look Back pour en faire quelque chose d’artificiel.
Le manga était la confession la plus sincère de Fujimoto. Le film est indéniablement le résultat de la communion de deux artistes qui partagent la même ion. Et ça tombe très bien, car il s’agit justement là du sujet de Look Back. Le film raconte l’histoire de deux lycéennes, Fujino et Kyomoto, qui aspirent toutes deux à devenir mangakas. Après leur rencontre, motivée par un heureux hasard, leur amitié est instantanément scellée. Leur rêve et leur complémentarité (symbolisée par leurs deux noms qui, en se complétant, donnent celui de Fujimoto) cimentent alors une relation fusionnelle. Celle-là même qui est la clé pour saisir le sens du film et le sens de l’art, selon son auteur.

Don’t look back in anger
Afin d’adapter le dessin et le style très singulier de Fujimoto, Oshiyama n’a pas choisi la solution de facilité. Il était impossible de rétablir justement le découpage du mangaka (qui possède un rythme qui ne convient qu’au format bande dessinée). Le réalisateur a donc fait le choix d’émuler, par une animation atypique, l’énergie vitale de Look Back. Celle-ci étant manifestée dans le manga par l’expressivité des personnages, le dessin parfois brouillon (mais très humain) et l’émotion visuelle saisissante de certaines pages iconiques.
Pour se faire, le cinéaste a rompu avec la méthode moderne des genga et dōga, qui consiste à décalquer les images clés pour produire des intervalles simplifiés – ceux-là fluidifient l’animation, tout en la rendant plus rapide à créer. Dans Look Back, tous les intervalles sont travaillés comme des images clés. Chaque plan conserve ainsi le style distinctif des animateurs, quitte à en souligner toutes les imperfections. Une technique qui nécessite bien plus d’énergie qu’un film d’animation classique et tout ça pour un résultat moins lissé et propre.

Mais grâce à cet audacieux parti pris, non seulement le film se démarque largement de ce qui se fait ailleurs, mais il rend aussi honneur au dessin de Fujimoto et au travail de tous les artistes impliqués. Si cette méthode de production ne permet pas non plus de reproduire parfaitement la sensation de mouvement du manga original, elle en réalise une très jolie alternative.
Alors que l’IA émerge et devient de plus en plus partie prenante dans l’animation (au Japon, notamment), il était vital pour Oshiyama de produire un long-métrage rayonnant de savoir-faire humain. C’est d’autant plus important quand on se souvient de quoi parle Look Back. C’est-à-dire une histoire où, au-delà de l’amitié entre deux jeunes filles attachantes, on évoque les joies et les peines de la création. Le film explore également, et avec une tendresse désarmante, une réalité à laquelle les artistes sont souvent confrontés : l’impuissance concrète de l’art face aux tragédies qui les entoure.

Sur ce sujet, Look Back va aller jusqu’à citer, avec justesse, le finale de l’excellent Once Upon a Time in… Hollywood (Fujimoto est fan du film). Comme dans le long-métrage de Tarantino, Look Back propose au spectateur (mais aussi à l’une de ses héroïnes) un dénouement alternatif, plein d’espoir, mais fictif, à un drame – ici inspiré de l’attentat de Kyoto Animation. Une réalité fantasmée dans laquelle on aimerait pouvoir vivre, mais qui n’existera jamais en dehors du cinéma ou du dessin.
La conclusion mélancolique du film est aussi amère qu’elle est nuancée. Elle témoigne d’un désenchantement sur l’absence de pouvoir réparateur de l’art. Mais en dépit de cette désillusion, Look Back parviendra tout de même à rendre un sens à la création. Celui de rêver avec l’autre, puis de rêver pour les autres.
Look Back est exclusivement disponible au cinéma le 21 et 22 septembre 2024.

merci pour cette critique qui donne très très envie !
Bien hâte de voir ça. En espérant une sortie VOD rapide.
J’avais découvert ce one-shot sur l’appli Manga+ de la Shueisha, effectivement ça mérite d’être lu !