Avant d’incarner Alex DeLarge, if...., Palme d’or en 1969.
Attention, accrochez-vous : il existe une autre Nouvelle Vague que celle attribuée au cinéma français, et elle a déferlé sur le Royaume-Uni quelques années plus tôt sous le nom de "Free Cinema". Si plusieurs cinéastes anglais ont surfé dessus, avec l’envie de renverser la vapeur, Lindsay Anderson s’est finalement distingué du lot, notamment grâce à l’uppercut If… qui lui a valu de décrocher la récompense suprême au Festival de Cannes.
Parmi tous les films ayant fait souffler un vent de révolution à l’écran (de Metropolis à V pour Vendetta, et on s’en tiendra là, rassurez-vous), If…. reste un cas d’école bien plus radical que la plupart des brûlots du même genre, et c’est à Malcolm McDowell, alors nouveau visage un tantinet menaçant du cinéma britannique, que revient la responsabilité de mettre le feu aux poudres.
(IN)DISCIPLINE, QUAND TU NOUS TIENS
Plus il y a d’interdits, plus le désir de les transgresser est fort, c’est bien connu. Dès l’ouverture du film, ce constat s’impose non sans ironie. D’abord, on entend une jeune assemblée entonner avec ferveur un cantique religieux. Puis l’instant d’après, les voix angéliques cèdent la place à un boucan de tous les diables. Nous voici alors dans un prestigieux collège/pensionnat pour garçons, et la fine fleur de demain se réduit à une horde d’élèves qui se bousculent, se battent et s’insultent entre eux.
La note d’intention est claire : il n’y a d’autorité que celle que la jeunesse se donne. Pourtant, l’École a tout de l’empire despotique, et Anderson s’amuse de cet environnement ultra-rigide pour glisser lentement, mais sûrement vers l’anarchie, incarnée par Mick et ses deux acolytes, Johnny et Wallace. Si les plans fixes sont légion et entérinent la domination du corps professoral sur les élèves, on remarque aussi quelques bizarreries stylistiques, notamment des transitions aléatoires de la couleur au noir et blanc.
Qui sort du rang scelle son sort
Pour la petite anecdote, le choix du monochrome s’est imposé à l’origine à cause de problèmes techniques liés à la captation de la lumière lors des scènes tournées dans la chapelle de l’école. Puis le réalisateur s’est dit qu’il pouvait filmer d’autres ages en noir et blanc et les intercaler ensuite entre deux séquences en couleur en vue de semer davantage la confusion, à l’instar du récent Oppeinheimer où les deux régimes esthétiques se télescopent là aussi spontanément.
Mais plutôt que ce soit porteur de sens, comme chez Christopher Nolan, cette recherche d’expérimentation formelle produit un véritable vertige ici. Il suffit d’évoquer ce bref épisode où l’épouse du maître de maison erre nue dans les couloirs de l’établissement, sans raison apparente. Tout est fait pour nous désorienter progressivement si bien que l’on finit par douter du degré de réalité dans lequel on se trouve (dans notre jargon, on appelle ça se faire "If-ceptionné").
Prêts à recevoir une bonne leçon ?
LES FAUVES SONT LÂCHÉS
Pour saper encore davantage l’autorité de l’élite britannique, Anderson n’hésite pas à associer les élèves à des animaux en cage. "Quand allons-nous vivre enfin ?", soupire Mick. Un ras-le-bol général qu’il exprime, lui et le reste de ses camarades, par un comportement on ne peut plus bestial, soit tout ce que condamnent les apôtres de l’institution scolaire, aspirant à former de bons et loyaux sujets. La métaphore animale est à ce point filée qu’elle contribue en partie à l’humour du film.
On s’amuse par exemple de voir le montage tisser un parallèle immédiat entre des photos de lions découpées dans un magazine, et un groupe d’élèves qui bizutent le "nouveau" tout en rugissant. Et on reste un peu sous le choc ensuite lorsque Mick, ayant saisi l’opportunité de quitter l’école en douce, se met à grogner et à se rouler par terre avec la serveuse d’un café, l’un et l’autre apparaissant dans le plus simple appareil, comme deux tigres en rut (oui, c’est plutôt cocasse).
Bien sûr, cette férocité animale est aussi le symptôme d’une libido réprimée et plus ou moins avouable selon les cas. Ayant longtemps caché son homosexualité, Anderson en parle ici via le personnage de Bobby, un peu à la marge, mais malgré tout central au sein de l’intrigue, naviguant entre les élèves juniors, dont il fait partie, et les élèves seniors. C’est surtout au détour d’une scène où il contemple Wallace en plein entraînement sportif que l’on comprend son attirance pour le jeune homme, et ça, sans le moindre dialogue.
C’est là que s’exprime l’opposition la plus forte entre la nouvelle génération et l’ancienne garde, la première étant en quête de sensualité quand la seconde se complaît dans l’austérité. Et le conflit entre les deux est non seulement ionnant à suivre, mais source d’une angoisse qui ne cesse de grandir et que le réalisateur accentue de plus belle en choisissant de chapitrer le récit, de telle sorte que l’on sent approcher l’issue catastrophique un peu plus à chaque nouveau segment.
Non, ce n’est pas un jeu de rôle BDSM (même si ça en a tout l’air)
AUX ARMES, COLLÉGIENS !
Descendu en flèche avant même sa sortie par quelques aristos très irritables, dont un ambassadeur britannique l’ayant décrit comme "une insulte à la nation", If…. assume pleinement sa radicalité lorsqu’il avive les instincts guerriers du trio principal. Et si Mick, Johnny et Wallace fomentent peu à peu une véritable insurrection, ils le font au cœur même de l’institution qu’ils combattent, dans leur garçonnière privée qui leur sert autant de refuge que de poste stratégique.
Comparables en un sens aux Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, d’autant qu’on les voit se battre à l’épée à un moment donné, les trois protagonistes jouent à s’affronter en duel, de la même façon que des comédiens répèteraient leurs chorégraphies ou leurs cascades en coulisses avant de se donner en spectacle. La seule grosse différence ici, c’est qu’il s’agit bel et bien de er à l’action une fois la répétition terminée (et là, ça défouraille sec).
Un peu d’escrime pour ourdir le crime
Plus le film progresse, plus les armes utilisées et les situations de combat gagnent en puissance létale. D’abord on manie le fleuret en cours de sport, puis on use de balles à blanc lors d’expéditions militaires orchestrées de toutes pièces, et finalement on sort l’artillerie lourde pour de bon. Cette escalade de la violence coïncide avec une série d’humiliations auxquelles s’adonnent les surveillants de l’école – des élèves de dernière année transformés en matons – et qui augmentent aussi nettement en intensité.
La réplique inaugurale de Mick : "La guerre est le dernier acte créateur possible" prend alors un sens terrible à la toute fin. Curieusement, on se plaît à faire le rapprochement avec une autre Palme d’or, à savoir Elephant de Gus Van Sant, quand bien même l’irruption de la violence repose sur des enjeux tout autres ici. Reste en revanche un goût amer relativement similaire à l’issue des deux films, et surtout le sentiment d’avoir essuyé une vraie déflagration.
Véritable bombe contestataire, If…. s’inscrit donc parfaitement dans son temps, avec son lot de désillusions et de mouvements de rébellion (coucou mai 68). Il est aussi le premier volet d’une trilogie "symbolique" construite autour de Mick Travis, qui est un personnage à chaque fois différent dans les opus suivants. Que Stanley Kubrick ait adoré If…. et repéré par la même occasion Malcolm McDowell qu’il dirigera ensuite, ajoute bien sûr au culte du film, hélas un peu oublié aujourd’hui.
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Quelques éléments de réponse, et quelques rappels possibles pour les gens qui lisent à chaque fois que je parle de tout ça.
1) On est les premiers à reconnaître volontiers qu’on est loin d’être irréprochables. On a fait plein de titres ratés, exagérés, grossiers, et on en fera encore. Je l’ai déjà dit et je le redirai encore.
2) Les titres sont un défi de plus en plus grand parce que les règles posées par Google/Discover (qui représente jusqu’à 80% de l’audience d’un site comme EL) sont aussi carrées que tristes, mais qu’on a vu un vrai bond dans les lectures quand on l’a appliqué. Il faut donc faire avec. On se retrouve à er énormément de temps sur ces titres, avec les problématiques du quotidien (parfois, personne n’a le temps, l’envie, l’énergie… parce qu’on préfère écrire des articles, des vidéos ou des podcasts, donc c’est une petite partie du métier qui devient de plus en plus grosse). Et quand on a la flemme, ou pas l’inspiration, qu’on est crevés ou découragés, on constate rapidement que chaque titre pas bien travaillé et construit selon les règles, ça équivaut à quasi condamner l’article.
3) Le titre a un but : donner envie. Que ce soit le titre de couverture d’un magazine, ou de l’article sur internet.
Si on est trop froid, trop simple (par exemple, « If : retour sur ce grand film de Lindsay Anderson »), ça réduit considérablement la vie de l’article, on l’a vu pendant des années à faire ces titres là, avant de tester la « méthode normale d’internet » depuis quelques temps. L’écart est proprement hallucinant.
Si on abuse trop pour faire provoc (par exemple, « Oublie Orange Mécanique, ce film est vraiment mieux »), ça va naturellement énerver. On cherche donc l’équilibre. Et on en revient au point numéro 1 : on peut se tromper, clairement.
4) Ceci étant dit, on s’adresse bien à un public très large. Ici, on veut pas simplement être lus par les gens connaisseurs et convaincus. On veut faire découvrir If à nos lecteurs et lectrices qui ne l’auraient pas vu, ne le connaîtraient pas, et pourraient avoir envie si on leur donnait un petit « truc » comme argument. On s’est dit qu’Orange mécanique avait du sens, et qu’on en parlait plus en détail dans l’article. L’objectif du titre devient alors double : intéresser/ne pas repousser les gens qui connaissent + intéresser/attirer les gens qui ne connaissent pas. C’est pas toujours facile, mais on fait au mieux.
5) Les titres sont des portes d’entrée, mais derrière, on a toujours des articles écrits avec la même ion, et qu’on essaye de maintenir aussi longs, fouillés et intéressants, peu importe les règles Google qui incitent aux articles courts et superficiels.
6) On réfléchit très sérieusement à où va Ecran Large, notamment à une manière de défendre notre territoire et trouver le bon équilibre entre « on doit respecter les règles de Google sinon on disparaît » et « on veut créer un espace qui satisfait l’équipe et le lectorat fidèle, notamment avec l’offre abonnés ». On sait que plein de fidèles sont très exigeants et ils/elles ont raison, et nous les premiers on rêve de pouvoir aller plus à fond dans notre direction à nous, et pas trop influencés/bloqués par Google. Gros travail, beaucoup de facteurs, mais on s’accroche et c’est un chantier toujours ouvert.
Pour conclure.
Si besoin était : absolument zéro mépris dans ce titre. On e notre temps à répéter notre approche : pas de hiérarchie des arts, toujours encourager les débats, et toujours garder un peu de légèreté. Ce titre est-il parfait ? Non. Aucun ne l’est, et certainement pas sur EL. Ce film est-il connu au point d’avoir été vu par tout le monde et sonner comme une évidence ? … Franchement, j’en doute fortement.
Mais pour moi, si quelqu’un a vu ce film et considère qu’il est ultra connu, le titre donnera envie de répondre « pff non mais calmez vous, je l’ai vu, plein de gens l’ont vu ». Y voir une marque de mépris, de « on vous apprend la vie bande de veaux incultes », c’est très mal nous connaître. Donc je préfère le réaffirmer.
Je me souviens avoir vu ce film il y a très longtemps et je l’avais beaucoup aimé à l’époque.
Cela dit, c’est un film dont je n’ai jamais vu d’edition DVD, et qui ne doit pas er souvent à la télé. Je ne pense pas que ce soit faire insulte à quiconque d’estimer qu’il est tombé aux oubliettes pour les moins de 40 ans (en tout cas l’immense majorité) tout simplement parce qu’ils n’ont jamais eu l’opportunité de le voir.
Le rapport avec Orange mécanique c’est Malcolm Mcdowell qui y joue les sales gosses. Pour le reste je le trouve assez différent. C’est plus un film sur une révolte contre le système et la fameuse éducation à l’anglaise qui a fait mal à tant de derrières qu’une critique de la société et de sa violence. Le film est génial. Malcolm Mcdowell est génial.
Autre film des sixties sur la révolte contre l’autorité. The Loneliness of the Long Distance Runner. Je l’ai vu à peu près en même temps qu’If… Tom Courtenay (King & Country) est plus sage mais la fin est nettement plus « punk » je trouve !
en fait c’est simple, il manque juste « peut-être » dans le Titre, et ça change tout !
L’autre Orange Mécanique : le grand film punk que vous ne connaissez peut-être pas (et c’est bien dommage)
Si je dis : Chez écran Large Personne ne connais Spookies, et c’est la honte. c’est le plus grand film du siècle… Bah, ne fait j’en sais rien du tout, et ce serait très présomptueux de ma part de croire que je sais ce qu’il y a dans vos têtes.
Le mot « condescendant » que j’ai utilisé dans mon précédent message n’était peut-être pas le bon, présomptueux, en revanche, est mieux choisi.
Je veux bien entendre mille critiques sur tout ce qu’on fait. On y a droit sur nos avis, nos titres, nos images, nos blagues, nos tronches. C’est le jeu.
Mais dire que ce titre est extrêmement méprisant…
On s’adresse depuis toujours à un public large. Si vous connaissez ce film, super ! Mais plein de gens ne le connaissent pas, on constate ça tous les jours avec des réactions sur les articles, vidéos, podcast, réseaux sociaux… sur quantité de sujets, depuis des années. Et aucun problème à ne pas connaître des oeuvres. J’en découvre encore chaque semaine.
Vu y a un bail. J’ai pas du tout accroché, je me rappelle surtout de la fin inutilement provocatrice. Rien à voir avec Orange Mécanique en tout cas, sur la forme comme sur le fond.
C’est vrai que Geoffrey s’était déjà exprimé sur les titres Pµtaclic, mais j’avoues que quand je lis des titres condescendant comme ça, j’ai toujours envie de répondre avec la même façon pour que vous ressentiez mon ressenti, du genre :
Pourquoi écran large est en train de mourrir et tente (Pitoyablement) de prendre son lectorat pour des demeurés avec des titres dignes de jeuxvideo.com ?
(humour hein ! ^^)
Un de mes films préférés hihi…non mais faut prendre le titre au 2nd degrés 🙂
@Constantnie
?????????????????????
Une colère (encore, une de plus) inexplicable, incompréhensible et qui n’a certainement aucune raison d’être au sujet de cet article.
« If » et la vague « Free Cinema » me sont (m’étaient) parfaitement inconnu (pas d’insulte merci) c’est donc l’occasion pour moi de découvrir.
Et oui nous sommes souvent différents, un commentaire portant sur : « comment et ou découvrir ce genre cinematographique » serait bien plus utile à la communauté des lecteurs.
Perdu ! Et si je connais ! Je l’ai même vu en salle à l’époque ! J’etai ado !!!