Films

Heretic : critique d’un Hugh Grant au pieux

Par Mathieu Jaborska
27 novembre 2024
MAJ : 16 février 2025

Auteurs de quelques courts-métrages, d’un téléfilm et d’une série B, M. Night Shyamalan

© Canva Le Pacte

The look of mormon

Deux jeunes femmes (Chloe East, toutes deux excellentes) discutent sur un banc. Très vite, on comprend qu’elles sont de profession mormone et qu’elles s’apprêtent à rendre visite à de potentielles recrues. À travers leur échange, le film annonce d’emblée le paradoxe auquel doivent faire face les cultes religieux au XXIe siècle, d’une génération capable de déceler la présence de Dieu dans un vulgaire porno. Un paradoxe que ces deux jeunes femmes en apparence tout ce qu’il y a de plus connectées incarnent parfaitement… et qu’on ne tarde pas à leur renvoyer à la tronche.

La suite, on la voit venir. Le duo débarque chez un vieux bonhomme un poil trop chaleureux et un piège semble se refermer sur elles. Sauf qu’au lieu de s’engouffrer dans l’horreur pure ou dans un tunnel de twists dès la fin du premier acte, dans la plus grande tradition du thriller glauque des années 2000, cette situation initiale débouche sur un dialogue, puis sur un autre dialogue… Bien sûr, Heretic emprunte au genre sa structure à tiroir, quasi littéralement vu l’architecture de la maison. Mais les scénaristes assument se reposer majoritairement sur les discussions entre ces trois personnages. Lesquelles portent, bien sûr, sur leur rapport à Dieu.

Sur une échelle de 1 au dîner de The Office, on est au moins à 8

Sur le papier, il y a de quoi se méfier, surtout après la douche froide 65. Et les inconditionnels du cinéma d’horreur américain contemporain archi-aggressif lui en tiendront peut-être rigueur. Les autres seront captivées par les discussions en question, dont on comprend très vite qu’elles sont en vérité de véritables joutes, un combat idéologique aux relents plus qu’inquiétants. Alors bien sûr, le casting de Hugh Grant et de son sourire trop bienveillant pour être sincère y sont pour beaucoup. Mais le frisson qui parcourt l’échine des héroïnes et spectateurs tient surtout à un talent de mise en scène qu’on ne soupçonnait pas chez les cinéastes.

Etirant la convention du champ contre-champ jusqu’au malaise, abusant au contraire du gros plan, ils accompagnent chaque saillie de cette bataille rhétorique avec leur caméra. Beck et Woods vont jusqu’à insérer opportunément des traits d’humour dans la mixture (la meilleure utilisation de Bob Ross à ce jour)… et à faire miraculeusement fonctionner, leurs longues scènes. Du moins jusqu’à ce que l’une des deux mormones prenne conscience de la bataille verbale en cours, et que le film dévoile plus explicitement sa démonstration.

L’art de semer le doute

Night moves

A partir de la moitié, Heretic perd peut-être un peu en subtilité ce qu’il parvenait à préserver dans ses séquences de dialogue. Certains ages sont plus artificiels (la tirade finale de Hugh Grant), un peu contraints par les quelques retournements de situation qui se succèdent. Il n’en reste pas moins réussi, surtout en ce qui concerne son sujet : la religion et plus précisément la foi, ici bien sûr mise à rude épreuve.

C’est là que la comparaison avec le cinéma de M. Night Shyamalan (période 1990/2000, on s’entend) apparait comme évidente. Lui aussi formidable metteur en scène, le réalisateur de Signes n’avait de cesse, à coups de twists et de mises en abyme, de souligner l’artificialité de ses histoires, entretenant un parallèle avec les grandes fiction mythologiques et surtout religieuses qui façonnent nos sociétés. De toute évidence moins versés dans la spiritualité que le maître, lequel n’a toujours que rappelé la nécessité de croire, le duo de cinéastes marche pourtant dans ses pas.

La seule lumière au bout du tunnel

Ici aussi, l’intrigue tient presque de la fable. Ici aussi, l’unité de temps et de lieu reflète un discours théologique. Ici aussi, les personnages finissent par en prendre conscience. Mais au lieu d’affirmer ainsi la toute-puissance de la foi, il approche le sujet avec de vraies pincettes. Il revient finalement au paradoxe de la séquence d’ouverture, opposant un culte aux illusions critiquables et un athéisme sombrant toujours plus dans le cynisme.

La meilleure idée d’Heretic est peut-être la confession de ses deux jeunes protagonistes. Fussent-elles catholiques, la hiérarchie des personnages aurait été établie dès le départ. Mais en suivant un culte généralement accueilli avec plus de méfiance, surtout lorsqu’il voyage de porte à porte, le spectateur est embarqué au cœur du rapport contemporain à la spiritualité et de ses crispations, atteignant les religieux plutôt que les religions, les aliénés plutôt que l’aliénation, celles et ceux qui puisent dans leur foi pour survivre plutôt que la foi en elle-même.

Hypothèse : cette maison est un réseau social

Et de fait, décrit plutôt bien la « culture war » qui fait rage désormais sur internet, plus attachée à mettre à l’épreuve l’hypocrisie intrinsèque de telle ou telle croyance à grands coups de pavés référencés que de faire preuve d’empathie envers ses pratiquants. C’est le sens même du terme « hérétique« , réduisant autrui à sa confession, ou à son absence de confession, au détriment de tout le reste.

À l’ère de la post-vérité, on est tous l’hérétique de quelqu’un. Et on ne pensait pas que ce serait souligné avec une telle justesse par ceux qui ont réussi à foirer la rencontre entre Adam Driver et des dinosaures.

Affiche française de Heretic
Rédacteurs :
Résumé

Si M. Night Shyamalan appartenait à la génération internet, il aurait pu réaliser Heretic, description imparfaite, mais très tendue d’un rapport toujours plus cynique à la religion.

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prometheus
prometheus
il y a 5 mois

Le début est pas mal, plutôt original, car ça reste suggéré et interprètable. La 2eme partie du film perd toute originalité, et tombe dans le déjà vu et revu et re revu. Dommage.
5/10 pour moi.

Oysterlover
Oysterlover
Abonné
il y a 6 mois

Qu’est que j’ai pu détester cette séance.
Arrivé la demonsration Bob Ross, mon seul espoir était que ça vire dans du fantastique pour éviter de tomber dans toute la suite du « méchant athée et ses démonstrations foireuses qui persécute les pures croyantes ».

Mais non. On.ne fait que s’y enfoncer un.peu plus à chaque scène. Jusqu’à ce que bien sûr la fin soit sauvée par un miracle après une prière.
Contrairement à la première merde de Pureflix venue, au moins y a du budget et c’est bien réalisé et bien joué.
Et un peu d’humour et de fausse dérision, pour faire croire que le film est autre chose qu’un pamphlet de religion generale (mais monothéiste quand même, salauds d’étrangers venus d’Etrangie avec vos dieux multiples, croyez vous aussi au Vrai Dieu TM).
J’ai failli péter mon siège à la dernière scène où la croyante prie « meme si ca sert a rien au moins pour un.instant on pense aux autres ». Va te faire foutre le film. Va bien te faire foutre. Si tout ce que tu as à m’apporter c’est les gentils croyants (mais attention, les purs, hein !) qui se soucient des autres contre les méchants athées qui veulent le CONTROOOOOOLE, va te faire foutre.
Ça fait longtemps qu’un film ne m’a pas mis à ce point en colère.

bad-taste
bad-taste
il y a 6 mois

Très bonne surprise !
Je m’attendais à quelque chose de très policé et timide, on se retrouve face à une œuvre qui questionne notre rapport à la religion, et qui questionne les religions tout court.
C’est parfois casse-gueule (la comparaison entre les trois « grandes » religions monothéistes, des jeux de plateau et des chansons pop, gonflé !), parfois très bien écrit (les différents débats entre Mr Reed et Sœur Barnes, le choix entre les deux portes), et souvent le film tape juste, où ça fait mal.
Le plus gros point négatif selon moi, c’est que plus on avance dans l’histoire, plus les mystères se dévoilent, plus l’intérêt s’amenuise. Le premier acte est brillantissime (Hugh Grant y fait des merveilles), le deuxième acte moins mystérieux mais qui met plus en valeur les deux personnages féminins dont les points de vue diffèrent (bonne idée de leur donner des personnalités différentes et complémentaires), quant au troisième acte, très, trop classique, on est à deux doigts de toucher au médiocre. Mais grâce à tout ce qui précède, on évite de justesse une foirade totale.
J’aime lister les œuvres auxquelles je pense devant un film, allons-y. Shining, Martyrs, Barbare, Knock Knock, le cinéma de Lars Von Trier, Knock at the cabin… Et pourtant malgré ces quelques probables influences, Heretic a beaucoup de personnalité. Et même s’il n’aura pas le même impact que d’autres films questionnant la religion, comme La dernière tentation du Christ, L’exorciste ou La ion du Christ, le film bouscule assez le spectateur (athée, agnostique ou croyant), pour le marquer durablement.
7/10